Le mythe de la majorité : un opium des peuples qui les éloigne de l’exercice du pouvoir et les maintient sous domination de la minorité ? Cas du Rwanda

Introduction

 

Partout dans le Monde et à travers les époques, la notion de “majorité numérique” n’a pas toujours réussi à s’imposer comme clé de légitimité pour l’exercice du pouvoir dans un pays ou de la suprématie dans une région donnée.

 

Ainsi, au Burundi, la majorité hutu n’est parvenue au pouvoir qu’en 2005 après des siècles de soumission tantôt à la monarchie tutsi-ganwa, tantôt aux régimes militaires des putschistes hima-tutsi de Bururi qui se relayaient par révolutions de palais. Mais, même actuellement, le régime présenté à tort comme celui de la majorité hutu semble en sursis, car menacé d’être renversé par les mêmes Tutsi soutenus par certaines puissances régionales ou lointaines. Un coup d’essai a été tenté en 2015 et rien ne dit que d’autres coups ne seront pas encore tentés.

 

En Afrique du Sud, le régime de l’Apartheid instauré par la minorité blanche des Boers  sur des millions de noirs n’a été aboli qu’en 1994 après un siècle de règne. Mais, même actuellement, celui de la majorité noire qui l’a remplacé, sous la bannière de l’ANC, doit marcher sur les œufs dans l’exercice du pouvoir car il risque, à la moindre erreur politique, d’être évincé et remplacé par celui soutenu par la minorité blanche et cela à la grande satisfaction de l’Occident.

Conséquence: certaines formations politiques, pourtant issues de la majorité noire, courtisent la minorité blanche pour avoir son soutien dans la lutte pour le pouvoir contre l’ANC. Le gagnant est donc la minorité blanche qui doit chaque fois arbitrer surtout qu’elle tient en ses mains les cordons de la bourse, à savoir toute l’économie du pays.

 

Au Moyen-Orient, même sans y inclure les pays du Golfe persique, la demi-douzaine de pays arabes est majoritaire en termes de superficie et d’habitants car comptant plus de 230 millions d’habitants, est depuis plus de 75 ans à genoux face à une entité beaucoup plus modeste en termes de superficie et d’habitants (moins de 10 millions). Une composante de ce peuple arabe a même été rendue apatride et chassée de ses terres et sans droit d’avoir un Etat comme il l’était avant 1948. Pire, les grands pays arabes, pour survivre et avoir une voix dans le concert des Nations, doivent se mettre à genoux et se soumettre à cette entité au grand désarroi de leurs peuples. Comme la situation au Moyen-Orient est d’actualité et donc sensible, nous n’en dirons pas plus.

 

Analyse approfondie du cas du Rwanda

 

A ce sujet nous allons étudier le cas du Rwanda, en faisant le constat actuel et en rappelant les données historiques de ce pays.

 

Depuis 1994 le Rwanda (plus ou moins 12 millions d’habitants) est sous domination de la minorité tutsi (moins de 10 % de la population) à travers le régime installé par les éléments tutsi de l’armée ougandaise qui ont conquis militairement ce pays après une guerre qui a duré près de quatre ans (1990-1994).

 

Le Rwanda pré-colonial

 

Sans entrer dans les détails, on rappellera qu’en 1885, lors du partage de l’Afrique entre les puissances européennes, l’Allemagne, qui a reçu le Rwanda, y a trouvé un pays où règne une monarchie tutsi-nyiginya qui avait conquis d’autres petits royaumes environnants mais qui n’avait pas encore totalement soumis la totalité des royaumes situés dans l’espace cédé à l’Allemagne. C’est ainsi que les allemands, munis des armes à feu inconnues des rwandais de l’époque, va aider le monarque tutsi-munyiginya Yuhi Musinga à soumettre les derniers royaumes récalcitrants et hutu surtout au Nord, Nord-Ouest et Sud-Ouest du Rwanda.

 

Période coloniale

 

Pendant la période coloniale (Allemagne jusqu’en 1918, mandat puis tutelle de la Belgique de 1919 à 1962), la majorité hutu a été sacrifiée sur l’autel de la facilité de gouvernance et les colonisateurs se sont basés sur les structures qu’ils ont trouvées en arrivant au Rwanda. Pour ne pas faire d’effort dans la gouvernance de la colonie, ils ont mis en place l’ “Indirect Rule” qui laissait les seigneurs tutsi régner sur leurs sujets hutu et twa, le colon ne s’occupant que des aspects techniques et économiques. Ils ont simplement codifié et institutionnalisé la domination de la minorité tutsi sur la majorité hutu. Ainsi, ils ont décrété et enseigné que le tutsi était né naturellement pour gouverner car supérieurs aux autres ethnies hutu et twa, que le hutu est, de nature, un serf et un exécutant inapte à l’exercice de tout pouvoir politique. Le twa, on n’en parlait même pas car considéré à la limite comme ne pas être complètement un être humain.

 

Période post-colonial

 

Le Rwanda a acquis sa souveraineté internationale en devenant indépendant le 01 juillet 1962 quelques temps après qu’une révolution populaire et sociale ait abouti à l’abolition de la monarchie féodale tutsi. Cette révolution avait été déclenchée en 1959 par quelques rares hutu scolarisés qui, parallèlement à la réclamation de l’indépendance comme cela se faisait entendre partout en Afrique, ont insisté pour que cette indépendance survienne dans un cadre démocratique, donc après l’abolition de la féodalité. Le slogan était: “démocratie d’abord!” que les paysans hutu criaient au passage de la Commission de l’ONU en mission au Rwanda en le kinyarwandisant comme suit: “demokarasi y’aboro”!

 

Accès au pouvoir et exercice de ce pouvoir politique par la majorité au Rwanda

 

Le pouvoir issu de la majorité hutu n’a pas tenu plus de 30 ans. Des luttes intestines, la fatigue prématurée des dirigeants, l’absence de vision sur des perspectives d’avenir et des menaces possibles afin de les contrer d’avance, et enfin la trahison et l’incompétence des politiciens de l’après “discours de La Baule”, etc. ont eu raison du Rwanda démocratique et républicain en 1994.

 

Atouts de la minorité

Dans la minorité, l’unité est facilement préservable et justifiable. Il suffit de brandir l’instinct de survie face à la vague  de la majorité débordante qui risquerait de submerger la minorité.

Une fois au pouvoir, pas d’exigence de démocratie et surtout pas de principe “un homme une voix” ne lui  est imposé. Bien plus, le monde est prompt à fermer les yeux sur ses violations des Droits de l’Homme.

Enfin, les soutiens extérieurs, surtout militaires même les plus immoraux, sont facilement justifiables sous prétexte de voler au secours du plus faible menacé d’extermination.

 

Faiblesses de la majorité

L’unité est presque impossible surtout en cas d’exercice du pouvoir;

Certains de ses soi-disants leaders sont facilement amenés à trahir même en temps de guerre en disant: “On l’aura (l’ennemi) après”!

Au pouvoir, lors d’un des exercices de la démocratie à savoir les élections, ils y vont toujours en ordre dispersé et l’espoir que le principe de “un homme une voix” fasse gagner la majorité vole en éclats;

La majorité au pouvoir est la cible toute indiquée des pressions internationales surtout en cas de négociations.

 

En définitive, et de façon générale, là ou deux blocs distincts, l’un majoritaire l’autre minoritaire, se disputent le pouvoir, c’est la minorité qui monopoliserait toujours le pouvoir, même avec des parenthèses de quelques décennies d’années, comme l’illustrent les cas du Rwanda et du  Burundi.

Paradoxalement, on ne peut pas effacer cet état de choses par une loi écrite et encore moins par un simple décret comme: “Les hutu, les tutsi et les twa n’existent pas. Il n’ y a que des rwandais”, car c’est une réalité intrinsèque du Rwanda comme Nation. Le Rwanda, sans les hutu, sans les tutsi et même sans les twa ne serait plus le Rwanda. Les tentatives du régime actuel pour repeupler le Rwanda par d’autres peuples que les hutu et les twa, si elles réussissaient, aboutiraient donc à sortir un autre pays et une autre nation mais surtout pas le Rwanda et la nation rwandaise.

 

Approche possible pour sortir de ce cercle vicieux

 

Le Rwanda comme cas d’école

 

Aux hutu du Rwanda, il leur faudrait beaucoup d’éducation politique pour nuancer la notion de majorité. Surtout il faudrait veiller à ce que ceux qui se présentent comme “leaders politiques” ne soient pas non seulement politiquement nuls et ignares malgré des titres académiques ronflants, mais plus grave, de vulgaires et abominables traîtres au peuple et cela pour de bas intérêts: régionalisme, revanche, goût démesuré et obsession du pouvoir, etc., simplement en se prévalant d’être de l’ethnie majoritaire.

 

Sinon alors on pourrait avoir :

Un président de parti qui irait rencontrer et signer un pacte de collaboration avec l’ennemi en guerre contre le pays dont son parti dirige le gouvernement. Et pour gage, livrerait une préfecture frontalière avec le pays servant de base-arrière à cet ennemi.

Un Premier ministre qui signerait un arrêté pour chasser le seul et dernier allié de son pays en guerre sans avis des instances de l’armée aux prises avec l’ennemi depuis deux ans.

Un ministre de la Défense qui transmettrait  systématiquement les messages venant des unités au front avec mention “Très Secret” à l’ennemi à travers un journal appartenant à un parti ayant signé le pacte d’alliance avec l’ennemi qui aurait envahi le pays et qui gagnerait du terrain.

Un ministre des Finances qui fournirait à l’ennemi des données “secret défense” comme les effectifs de l’armée en utilisant les listes mensuelles de paie des militaires qu’il reçoit pour les viser afin de débloquer leur solde.

Un ministre des Affaires étrangères qui signerait un accord permettant à l’ennemi d’investir une position au centre du dispositif des Forces Armées dans la Capitale et par ailleurs un des sièges du pouvoir et des institutions, et ceci contre l’avis du Commandant suprême et du chef d’Etat-major des armées.

Un chef des Renseignements intérieurs du pays qui renseignerait systématiquement l’ennemi et recevrait de lui des directives pour la recherche des renseignements sur l’armée de son pays attaqué.

 

Ces cas sont naturellement théoriques et hypothétiques d’où le conditionnel, car si cela avait eu lieu quelque part, de tels traîtres en temps de guerre auraient été condamnés à mort et exécutés.

 

Dans une telle situation le “peuple majoritaire” est voué à être exterminé, ou au mieux, à être soumis et esclave des maîtres issus de ce qui était perçu comme une minorité.

Un certain peuple d’un pays des Grands Lacs qui se croyait majoritaire mais qui a eu comme leaders politiques de tels individus l’a appris à ses dépens et peine à se relever.

 

Leçons à tirer

 

Dans l’exercice du pouvoir politique, on ne peut pas parler de “ majoritéé ethnique” sans au préalable travailler à ce que que cette majorité soit aussi idéologique. Au minimum, il faut une même perception de l’histoire et une vision commune sur l’avenir du pays dont elle rêve.

 

En politique, comme en tactique militaire, copier les recettes de l’ennemi qui réussissent, ce n’est pas faire preuve de faiblesse ni de manque d’imagination. Tout au contraire. La majorité hutu du Rwanda comme celle du Burundi devrait d’abord étudier et savoir pourquoi la minorité tutsi monopolise le pouvoir pendant des siècles et quand elle le perd, elle se rétablit moins de 30 ans après et le récupère pour encore la monopoliser pendant des siècles. La majorité hutu devrait par exemple savoir comment fait la minorité tutsi lorsqu’elle est au pouvoir : comment parvient-elle à se faire parrainer par les puissants lobbies financiers et médiatiques du Monde qui couvrent ses crimes et répercutent ses mensonges ?

 

En cette période, actualité oblige, plus que jamais le “mythe de la majorité” est à relativiser et même à plaindre, du Moyen-Orient jusqu’en Afrique australe en passant par la région des Grands Lacs.

 

Emmanuel Neretse

 

 

 

 

 

 

 

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