Hommage funèbre à Faustin Twagiramungu par Jean-Marie Mbonimpa (Leuze, le 09 décembre 2023)
Chère Maman Sandra, tendre épouse de Faustin Twagiramungu,
Chers Sandra, Jean-Grégoire et Eva Belinda, enfants bien-aimés de FT et tous les vôtres, dont les beaux-fils, les belles-filles, les petits-enfants, les beaux-parents, les neveux et nièces et, plus globalement, les proches parents de FT,
Chers amis, compagnons politiques et admirateurs de FT,
J’ai un sacré défi à relever, celui de rendre hommage en quelques minutes, à un grand homme dont la vie aura été abondamment riche à plusieurs titres, aussi bien au plan individuel et familial, qu’aux niveaux social, professionnel et politique. Ajoutez à cela que FT était mon ami, mon grand-frère et mon mentor politique, et vous comprendrez que ma tâche n’est pas des plus aisées.
Je voudrais d’abord parler de l’homme dans ses rapports sociaux. Tous ceux qui ont côtoyé FT se souviendront d’une personne très attachante, d’une agréable compagnie, toujours soucieuse du bien-être de son vis-à-vis. Son accueil chaleureux, son humour bienfaisant, sons sens élevé de l’écoute et bien d’autres qualités rarement égalées, faisaient de FT la personne la plus sociable que je connaisse.
Cela est certainement arrivé à plusieurs d’entre vous qu’il vous accueille avec un sourire lumineux par un chaleureux « welcome my dear », quoi qu’on n’avait pas besoin de l’entendre parler la langue de Shakespeare pour réaliser à quel point il était un gentleman achevé, entendez un homme distingué, un modèle de générosité et de noblesse.
[Ni ukuri ni ukuri, Faustin yari imfura koko, yari umusilimu pe ! Reka nsubiremo mu mvugo nk’iye : Ni impamo ya Mungu, Faustin yari imfura koko, akaba n’umusilimu pe !]
Vous en conviendrez tous, Faustin était une personne très aimable, comptant des amis et des admirateurs dans toutes les catégories d’âge, y compris et surtout au sein de la jeunesse.
Je suis également bien placé pour témoigner des nombreuses qualités de Faustin au plan familial, car sa famille et la mienne sont étroitement liées depuis plus de 35 ans. Pendant tout ce temps, mon épouse et moi-même avons eu l’occasion d’observer à quel point Faustin était un père et un grand-père aimant et fier de ses descendants, entendez ses enfants et ses petits-enfants, avec lesquels il entretenait une complicité évidente.
Nous l’avons également connu comme un époux profondément respectueux et reconnaissant envers son épouse. Dans nos conversations privées, Faustin insistait très souvent sur la loyauté d’Assumpta, vantant en long et en large le soutien sans faille de son épouse dans les différentes épreuves familiales, politiques et autres qu’il a eu à traverser, et Dieu sait que des situations éprouvantes, Faustin en a connu des tas ; je n’en donnerai que trois exemples :
- Le décès inopiné de son fils Rodolphe Shimwe en avril 2022, à la suite duquel Faustin a vécu un deuil et un chagrin des plus délétères ;
- La perte d’une trentaine de membres de sa famille et aussi de précieux amis politiques sauvagement tués au Rwanda pendant le génocide et les massacres de 1994, auxquels Faustin et sa petite famille ont survécu miraculeusement, grâce à l’Eternel comme il ne cessait de le souligner; [Faustin yakundaga kuvuga ko we, umugore we n’abana barokowe n’Uwiteka]
- L’épreuve subie par Faustin que je mentionne en 3e exemple, concerne les attaques virulentes qui l’ont démoli personnellement et qui ont terriblement affecté sa famille, notamment celles émanant de personnes mal intentionnées, qui ont injustement accusé Faustin d’avoir assassiné son beau-frère Emmanuel Gapyisi en mai 1993. J’ai personnellement été témoin de sa souffrance et de son incompréhension devant tant de méchanceté. Il n’en revenait pas du tout, surtout que la vérité sur cet assassinat est connue de tous, à savoir que ce crime odieux a été perpétré par le FPR-Inkotanyi pour des mobiles politiques non encore élucidés
Pour souligner encore plus la haute appréciation de Faustin à l’égard de son épouse, je rapporte ici, textuellement, un extrait des propos qu’il m’a encore répétés lors de notre conversation téléphonique d’il y a quelques jours, dont j’ignorais malheureusement qu’elle serait la dernière. Il a dit, je cite :
« Kuba kuri iyi saha ngihumeka, kuba ngihagaze, mbikesha Assumpta utarahwemye kunyitaho no kunshyigikira », ce qui se traduirait ainsi :
«Si, à l’heure qu’il est, je suis encore en vie, si j’arrive encore à tenir bon, je le dois à ma dévouée épouse Assumpta, qui ne cesse de prendre soin de moi et de me soutenir pleinement».
Tel était Faustin, un homme bon qui savait être reconnaissant, non seulement envers son épouse, mais aussi ses proches et amis qui lui sont restés fidèles dans des moments difficiles qu’il a connus à différentes époques de sa vie.
J’ouvre maintenant un dernier chapitre, où je parle brièvement de l’homme politique éminent dont j’ai eu le privilège d’être un fidèle compagnon durant pratiquement toutes les batailles politiques qu’il a menées, notamment au Rwanda entre 1990 et 1995, et en exil entre 1998 et 2021.
Je veux saluer le courage, le talent, la constance, la ténacité, le charisme et bien d’autres qualités exceptionnelles qui ont marqué sa longue carrière politique.
Concernant particulièrement son courage, d’aucuns le qualifient d’indicible, voire de suicidaire.
En août 1991, à peine les partis d’opposition agréés au Rwanda, Faustin Twagiramungu a été le premier politicien rwandais à oser défier publiquement le Président Habyarimana, s’attaquant avec véhémence à son régime dictatorial consolidé par le parti unique, le MRND, et réclamant un changement politique immédiat et en profondeur, par la voie de ce qui s’appelait à l’époque la Conférence Nationale Souveraine, dite RUKOKOMA en langue rwandaise. Le célèbre surnom de RUKOKOMA ne le quittera plus depuis lors. [« Turashaka Rukokoma n’amatora adafifitse ; NTA KUNDI BYAGENDA ! » Ayo ni amagambo ya Twagiramungu yamamaye cyane, agasubirwamo hose muri za mitingi z’Ishyaka MDR].
Son courage légendaire a aussi été étalé au grand jour en décembre 1994, lorsqu’il était Premier Ministre du Gouvernement mis en place en juillet 1994 après la victoire militaire du FPR-Inkotanyi. En réponse à la détresse du peuple rwandais qui subissait alors des tortures et des massacres en série de la part de l’Armée Patriotique Rwandaise, FT a interpellé publiquement l’homme fort, le Général Paul Kagame, demandant à ce que ses soldats laissent les gens en paix et que le supplice à la corde cesse immédiatement.
[Icyo gihe Twagiramungu yavuze arakaye, ati « Abanyarwanda banze ingoyi hashize imyaka irenga 30, ubu sibwo bazayisubiraho »].
Neuf mois plus tard, en août 1995, il sera dans l’obligation de démissionner du poste de Premier Ministre, sa ligne politique de démocrate humaniste n’étant plus compatible avec celle du FPR, visiblement totalitaire et criminelle.
Ce sont là deux exemples de prises de position de FT qui témoignent éloquemment de son courage en politique, du temps de la Présidence du Général Habyarimana et sous le régime du FPR-Kagame. Si le temps n’était pas limité, de nombreux autres cas pourraient être relevés, surtout que Faustin avait acquis la réputation d’un homme politique déterminé, prêt à mourir pour ses idées s’il le fallait, à la différence de ceux (vous en connaissez beaucoup !) qui se prostituaient politiquement pour gagner les faveurs des maîtres du pays.
Faustin était par ailleurs un politicien on ne peut plus talentueux, très habile, qui avait toujours une bonne longueur d’avance sur ses adversaires, et aussi sur ses partenaires [Yakoraga politiki yo mu rwego rwo hejuru, bamwe bakayita iyo mu bushorishori !].
Cela lui a d’ailleurs valu des calomniateurs et des détracteurs de toutes sortes qui, par jalousie ou par frustration, ne supportaient pas qu’il occupe les devants de la scène [Bakababazwa n’uko Umushi abatanze Umushi !].
Certaines personnes en sont même arrivées à le détester franchement, ayant de la peine à accepter qu’il soit autant brillant, comme pour valider cette célèbre citation de Robert Anson Heinlein, écrivain américain de science-fiction, selon laquelle « Avoir raison trop tôt est socialement inacceptable ».
Eh oui, nombreux sont ceux qui ont blâmé (et le mot est faible !) Faustin Twagiramungu pour avoir exigé que le Gouvernement rwandais négocie la paix avec le FPR-Inkotanyi qui venait d’attaquer militairement le Rwanda en octobre 1990. Ils sont aussi légion ceux qui, au sein du parti MDR en 1991-1992, en ont voulu à FT d’avoir compris que l’union fait la force et que c’est en s’alliant avec d’autres forces politiques d’opposition au sein d’une coalition forte, que le parti avait des chances de changer le cours des choses au Rwanda.
Je veux ici souligner l’un des points forts de la carrière politique de FT, à savoir : la recherche et la formation de fronts communs ou d’alliances, en vue de pouvoir atteindre l’objectif visé, en l’occurrence le changement politique au Rwanda. Même s’il part trop tôt sans récolter les fruits des grains qu’il a semés dans cette direction, au moins il aura montré le chemin à ses nombreux héritiers au sein de l’opposition rwandaise.
Je puis affirmer avec certitude qu’une multitude de rwandais ne manqueront pas d’épouser les idées de Faustin Twagiramungu et de les défendre mordicus, concernant notamment l’unité des rwandais, thème qui lui était aussi cher que la prunelle de ses yeux. Oui, Faustin s’en va, mais ses idées restent, et je ne doute pas qu’elles vont prospérer, jusqu’à ce que voie le jour le Rwanda de ses rêves [u Rwanda rwiza yaharaniye], entendez le pays où les différentes composantes de la population vivront à jamais dans l’unité, la paix et la prospérité.
Pour conclure, permettez-moi d’emprunter trois références à autant de sources différentes, et de les faire miennes, du moment que j’y souscris entièrement.
D’abord, la brillante idée de la Maman de Nanyouma [Nanyouma est l’épouse de feu Rodolphe Shimwe, donc la belle-fille de Marie- Assumpta et Faustin]
Maman Nanyouma, dans l’un des messages de sympathie qu’elle a adressés à la famille éprouvée, a considéré, à juste titre, que le baobab africain reflète parfaitement l’image que les générations présentes et futures, au Rwanda et ailleurs en Afrique, devraient garder de Faustin Twagiramungu.
Elle a évoqué, entre autres, la grandeur du baobab quant à sa hauteur et son diamètre, la protection qu’il garantit à quiconque se place sous son imposant feuillage, sans oublier l’espace à palabres qu’offre cet arbre légendaire, contribuant ainsi au règlement des conflits et à la coexistence pacifique de ses usagers.
J’épouse, sans la moindre réserve, cette thèse éminemment pertinente de Maman Nanyouma, car FT était un grand homme, soucieux de la sécurité de ses semblables et de l’entente entre les individus.
La deuxième source que je fais volontiers mienne est le beau texte que la famille a choisi de mentionner sur le faire-part du décès, je cite :
« Mais ne doutez pas. Si vous avez tout essayé, tout donné, profondément aimé ; alors, il n’y a rien à regretter ».
A propos, je voudrais tirer mon chapeau à l’homme infatigable qui a tout donné pour un meilleur devenir de son Rwanda natal. A cet effet, Faustin n’aura ménagé, ni son temps, ni son énergie, ni sa fortune, en fait ni sa vie, guidé par le seul intérêt supérieur du peuple rwandais, auquel il croyait dur comme fer.
Dieu est bon, il exaucera son vœu en permettant que son épouse et leur descendance vivent heureux dans le pays où coulent le lait et le miel qu’il n’aura pas connu, fort malheureusement. D’ailleurs, si aujourd’hui il devait y avoir un motif de regret, c’est bien celui-là, car FT nous quitte au moment où ce beau pays tant attendu, ce havre de paix et de prospérité qu’il aurait aimé habiter lui aussi, est sur le point de nous être livré par l’Eternel notre Dieu.
Mais restons fidèles à ce mot d’ordre de ne rien regretter, car Dieu qui a décidé de rappeler à Lui FT maintenant, a ses raisons que la raison ne connaîtra jamais. Considérons les choses plutôt positivement, aidés en cela par la Parole de Dieu selon laquelle « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » ; c’est dans l’épitre aux Romains, chapitre 8, verset 28.
[Ngo ku bakunda Imana, ibiba byose bifatanyiriza hamwe kubazanira ibyiza.]
En dernier, j’aimerais évoquer la 3e référence, qui n’est autre que le passage de l’évangile selon Jean, lu à l’Eglise lors de la célébration funèbre.
J’ai particulièrement souligné le verset 24 du chapitre 5, où il est écrit : « celui qui croit en Jésus-Christ et à son Père qui l’a envoyé sur terre, celui-là est passé de la mort à la vie, il a la vie éternelle ».
Eh bien ! Je rends grâce à mon Seigneur, le Roi des Rois, Jésus-Christ de Nazareth, car je sais qu’Il a sauvé de la mort mon frère Faustin, désormais enfant de Dieu et héritier de la vie éternelle.
Puissions-nous, nous tous ici rassemblés, nous humilier, chacun, chacune, devant l’Eternel notre Dieu et, si ce n’est déjà fait, rechercher le salut en Jésus-Christ. A cet effet, soyons encouragés par les paroles de Jésus lui-même ; c’est dans l’évangile selon Matthieu 6 :33, je cite : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné ensuite ».
Que le règne de Dieu l’Eternel vienne dans nos vies, par l’action du Saint-Esprit et pour la gloire de notre Seigneur Jésus-Christ ; Amen !
Munyihanganire mfate indi minota mike, kuko nifuje kurangiza ndirimba, niba ijwi riri bunkundire.
Abantu benshi bazi Twagiramungu nk’Umunyarwanda w’Umunya Cyangugu, ariko ni bake bazi ko afite inkomoko muri Kibuye, ku nkombe z’i Kivu, ahitwa i Mpembe muri Komini ya Gishyita.
Niyo mpamvu natekereje kurangiza ubu butumwa, mwubahisha indirimbo y’Umuhanzi w’Umunya Kibuye witwa Hubert Bigaruka. Ni indirimbo yasohotse mu myaka y’1980, mu magambo ateye atya :
Ukabaho ukaba intwari (x2), Uri indengabaganizi (x2), Ntiwasubiye inyuma (x2), Cya gihe cy’itabaro (x2),
Ahiii !!! Izo mpundu ni izawe, izo mpundu ni izawe !
A ceux qui ne comprennent pas le Kinyarwanda, je précise que j’ai fait miennes les paroles d’une chanson rwandaise de l’artiste Hubert Bigaruka, datée des années 1980. Cette chanson s’applique bien à Faustin Twagiramungu, un héros pour sa famille et pour tout un peuple ; en voici une traduction libre :
Ta vie est celle d’un héros, tu as toujours choisi le camp des braves ;
Au front tu étais tout le temps en 1re ligne, tu n’as jamais battu en retraite ; Waouh !!! Tu as toute notre admiration !
Jean-Marie Mponimpa
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