Première visite officielle du président de la RDC Félix Tshisekedi en France. Quels enjeux ?
Contexte et constat
Cette visite était longtemps attendue. Il est vrai que depuis sa première élection en 2018, le président Félix Tshisekedi séjourne souvent en France. Cette première visite, protocolairement qualifiée d’ »officielle », vient d’être officiellement annoncée. Elle aura lieu les lundi 29 et mardi 30 avril comme le rapporte les medias.
Cette visite de deux jours est chargée. Au programme, il est prévu une cérémonie aux Invalides, des rencontres avec les autorités politiques à l’Élysée, à l’Assemblée nationale et au Sénat et un forum économique avant une rencontre avec la diaspora congolaise.
La visite survient au moment où la RDC est soumise à une guerre d’agression et qu’une partie de son territoire est occupée depuis plus de 2 ans par les troupes d’agression d’un pays voisin, à savoir le Rwanda du dictateur Paul Kagame.
Les attentes
Dans un tel contexte, la visite du président Tshisekedi en France peut susciter beaucoup d’attentes surtout quand on connait l’expertise de la même France en ce qui concerne l’Afrique, référence faite à son passé colonialiste. la France est en outre membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU ayant le droit de véto, et donc sans quoi, aucune décision ou mesure à l’ONU ne peut passer. Pour un pays en guerre, l’avis et la position de la France est donc à prendre sérieusement en compte.
Enfin, dans un conflit opposant deux pays membres de la Francophonie (OIF), une création de la France, et qui abrite son siège et en plus une organisation dont la France a offert la direction à l’un des belligérants Paul Kagame, après le bannissement du français dans son pays, la même France devrait être intéressée au premier chef. D’autant plus que l’autre belligérant, à savoir la RDC agressée, est le plus grand pays francophone du monde ; la France ne devrait donc pas rester à l’écart ou être indifférente.
Relevons aussi que dans cette guerre imposée à la RDC par Paul Kagame, les attentes envers la France sont de différents ordres:
°Les populations, que ce soit congolaises ou rwandaises, qui souffrent depuis 30 ans et encore plus gravement depuis 3 ans, peuvent espérer de la France en tant que puissance militaire et première exportatrice d’armes en Afrique qu’elle connaît, fournirait massivement des armes aussi sophistiquées que celles de l’ennemi Paul Kagame aux FARDC. Ce qui leur permettrait de le bouter hors du territoire congolais, de libérer les terres d’où ces populations ont été chassées afin qu’elles retournent dans leurs biens et quittent les camps de fortune autour de Goma, elle-même assiégée.
°Les politiciens et décideurs congolais, en plus d’abonder dans le sens des attentes et souhaits des populations martyres, attendraient de la France que comme membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, elle propose et fasse adopter une résolution sanctionnant le Rwanda de Paul Kagame pour crime d’agression, crimes de guerre, crimes contre l’Humanité voire pour génocide, …, comme elle l’a spontanément fait contre la Russie suite au conflit en Ukraine.
Minimum à exiger
En géopolitique, il faut rester réaliste et non pas trop rêver! Il est évident que la France, quelle que soit l’injustice et la souffrance dont sont victimes les populations de la RDC suite à l’agression de Paul Kagame, ne réagirait pas contre l’agresseur comme elle le fait quand un pays comme l’Ukraine est “agressé” par son voisin. De même, chaque pays agissant d’abord dans le sens de ses intérêts, la RDC ne peut pas prétendre représenter tous les intérêts de la France en Afrique, surtout que les puissances alliées à la même France (USA, GB) lui font miroiter que ses intérêts peuvent être sauvegardés par leurs supplétifs en Afrique comme Paul Kagame et qu’elles les mettent en contact pour ce faire.
Dans une telle situation, il y a quand même lieu d’attendre et d’exiger à la France un minimum d’attitude logique en rapport à la guerre d’agression que subit la RDC.
Cette visite devrait être l’occasion de demander et d’exiger à la France un minimum d’ attitudes responsables, humaines et cohérentes, …, même sans la mettre en conflit avec ses puissants alliés anglo-saxons.
°Le gouvernement Macron devrait clarifier sa position et revoir son attitude vis à vis du régime de Paul Kagame. En effet, les observateurs avertis sont ébahis quand ils voient ou entendent la France répéter les mensonges de Paul Kagame justifiant ses crimes en RDC depuis 1996. Bien plus, d’aucuns sont scandalisés quand ils voient les officiels de la France (dont des anciens chefs d’Etat ou ministres) aller s’agenouiller devant Kagame à Kigali, sous prétexte d’aller expier leur responsabilité dans le génocide de 1994, pourtant déclenché par le même Paul Kagame en assassinant deux chefs d’Etat Hutu et leurs suites et 3 officiers français en mission le 06 avril 1994. Ce jeu devrait cesser.
°La France, sans aller jusqu’à violer la liberté de la presse, devrait suivre de près avec les organes de régulation et de contrôle habilités, la couverture par les médias publics, de la guerre d’agression en RDC ou des émissions s’y rapportant. Les africains en général et les congolais et rwandais en particulier sont scandalisés par la façon dont certains médias français couvrent ce conflit. On dirait des Talkie-Walkie de Paul Kagame!
°Enfin, en respectant l’indépendance de sa Justice, le gouvernement français devrait laisser cette justice sévir de la même façon qu’elle le fait depuis plus de 25 ans contre les opposants Hutu au régime de PaulKagame exilés en France et présumés “génocidaires”, que contre les personnalités autour de Kagame accusés de crimes graves commis au Rwanda et surtout en RDC dont celui de “génocide“ aussi.
En conclusion nous signalons que les occasions d’évaluation des résultats de la visite du président Félix Tshisekedi en France du 29 au 30 avril 2024 seront nombreuses et pas lointaines. Nous en citerons trois:
Débloquer l’impasse du processus de Luanda
Nous allons voir si la France va, suite à cette visite, user de son influence pour sortir le processus de Luanda de l’impasse dans laquelle elle est fourrée et si le président angolais désigné “médiateur”, pourra enfin présenter le bilan de son action. Mais aucune condition préalablement posée (retrait des troupes rwandaises, le M23 dépose les armes et évacue les zones occupées, …) n’ayant été remplie, l’optimisme n’est pas de mise.
Contre-offensive probable des FARDC et alliés
L’on devrait suivre avec intérêt l’attitude et la réaction de la France de Macron quand les FARDC, après leur montée en puissance, se résoudraient enfin à lancer une contre-offensive fulgurante et foudroyante pour libérer le Nord Kivu et chasser l’envahisseur.
Enfin nous allons suivre et noter minutieusement les suites réservées par la France aux mandats d’arrêt internationaux que devrait lancer la RDC contre les “criminels présumés” rwandais de la clique à Paul Kagame, pour les crimes commis en RDC.
Emmanuel Neretse
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