La campagne électorale de Paul Kagame et l’ombre de Victoire Ingabire
La campagne électorale qui vient de se terminer au Rwanda a formellement opposé trois candidats : Paul Kagame, Frank Habineza et Philippe Mpayimana.
Dire que cette joute a mis en présence des forces inégales serait un euphémisme. D’aucuns se sont même demandés quelle était la finalité d’une campagne sans véritables enjeux….
Il y a, tout de même, lieu de relever deux aspects particulièrement éloquents qu’a révélés cet exercice. Le premier se lit en amont, alors que le second transparait de quelques particularités des interventions mêmes du héros de cette parodie électorale.
La pré-campagne
En amont, le régime s’est, de nouveau, évertué à allumer un feu de barrage pour exclure de la compétition, les candidats potentiellement dangereux ainsi que les « électrons libres ». Le feu de barrage a commencé à s’activer, bien avant, par l’absence de réaction à la demande d’enregistrement du parti DALFA – Umurinzi de Victoire Ingabire. Quand Madame Victoire a voulu contourner cet obstacle en entamant les démarches judiciaires qui auraient pu lui permettre de se présenter en candidate indépendante, sa demande s’est heurtée contre le mur d’un juge dont très peu de gens ont pu suivre les méandres d’un raisonnement abscons. Mais ce n’est pas seulement Madame Victoire qui s’est vue barrée de l’exercice de ses droits constitutionnels. D’autres acteurs bien connus de la scène politique rwandaise n’ont même pas eu le loisir de présenter leurs dossiers de mise en candidature.
En cela, Kagame a confirmé sa réputation de chef de guerre qui ne lésine pas sur les moyens et est prêt à utiliser un canon pour tirer sur une mouche.
Quand le candidat Kagame désigne lui-même son véritable adversaire
Dans une campagne électorale l’on s’attend habituellement à deux types de discours : un discours positivant où le candidat à la magistrature suprême présente le projet de société qu’il entend promouvoir durant son mandat. Mais il y a aussi un autre, plus « pugilistique », où le candidat s’attèle à pourfendre ses adversaires, surtout ceux qu’ils considèrent comme les plus menaçants par rapport à ses ambitions. Au cours de la campagne électorale 2024, on n’a jamais entendu le candidat Kagame s’en prendre à ses deux adversaires déclarés.
Quant aux formations politiques-croupions qui constituent la piteuse facette du multipartisme à la rwandaise, bien malin observateur serait celui qui a pu capter la moindre information à savoir si elles auraient même négocié leur adhésion à la candidature de Kagame pour justifier leur retrait de la course. Elles sont apparemment fort bien satisfaites d’être vassalisées au Front Patriotique Rwandais qui domine, à titre absolu, la scène politique rwandaise depuis trente ans.
Par contre, le candidat Kagame s’en est pris, à plusieurs reprises, à la personne de Victoire Ingabire, comme si dans son subconscient, c’était l’adversaire à battre.
Que dis-je? À abattre!
Car si, auparavant, le président Kagame s’était contenté de dire qu’elle « risquait de se retrouver là, d’où elle était sortie », cette fois-ci, les propos de cet homme, peu habitué aux circonlocutions, ont comporté une menace physique directe.
Après de tels propos, peut-il s’en trouver encore quelqu’un (à l’exception, peut-être, d’un certain sénateur) qui doute de la main directe du président Kagame, dans l’obstruction arbitraire à la reconnaissance officielle du parti de Victoire Ingabire où dans la décision qu’un juge de Kigali a récemment prise à l’endroit de cette dernière?
Un contraste frappant entre deux discours politiques
Là où la première préconise un discours éminemment constructif, un plaidoyer en faveur d’une complémentarité des opinions plurielles dans une société ouverte et tournée vers l’avenir, l’autre se distingue par un discours d’une dialectique clivante où les éléments sont en état de lutte permanente (« guhangana », tel est le leitmotiv lancinant, qui accompagne quasiment toute intervention de cet homme) dans une société policière abonnée à l’auto-contrôle et que l’on veut toujours engluée dans les miasmes de son passé récent (« amateka mabi »).
D’un côté, un discours respectueux et empreint de dignité; de l’autre un discours hargneux; dénigreur et volontiers calomnieux.
D’un côté, un discours pour une société apaisée cherchant à vivre en paix avec ses voisins; de l’autre, un discours belliqueux qui recherche avec prédilection – pour ne pas dire avec délectation – les occasions de confrontation avec les autres États.
Le message subliminal de Kagame : un nouveau canon de beauté pour le Rwanda
Lors de sa dernière sortie, en fin de campagne, le président Kagame a révélé une autre facette de sa personnalité en parlant de Victoire Ingabire, en des termes qu’il voulait sans doute avilissants, quand il a fait allusion à son physique, notamment à sa taille.
On pouvait le soupçonner de partager cette vision aristocratique de la gestion politique du pays qui veut qu’une seule catégorie de citoyens soient tout naturellement appelés à tenir les rênes du pouvoir. Mais, c’est, semble-t-il, la première fois qu’il trahit publiquement sa pensée profonde.
Les propos du président Kagame s’inscrivent dans un contexte idéologique bien évident : celui du retour aux valeurs du Rwanda ancien : le Rwanda féodo-monarchique au stade de son développement où les familles dominantes l’avaient porté vers la fin du 19e siècle, c’est-à-dire à l’arrivée des Blancs.
Or cette vision aristocratique est profondément rétrograde. Même pour ceux qui s’acharnent à nier les transformations irréversibles qu’a connues le pays sous l’impulsion de l’esprit de 1959.
On peut tenter de réécrire l’Histoire mais on ne peut pas la refaire.
Certes, les canons esthétiques et les registres culturels du Rwanda ancien font partie du patrimoine culturel des Rwandais. Mais ils doivent être soumis aux ablutions d’une modernisation objective et apaisée. Malheureusement, l’on constate que certains de ces canons esthétiques et culturels sont remis à l’honneur dans une démarche politique carrément « restaurationniste » et revancharde. Ce sont ces valeurs culturelles qui constituent, entre autres, les piliers de l’idéologie néo-Kalinga des cercles concentriques entourant le président Kagame. On les voit progressivement revenir et s’imposer dans la superstructure sociale. Ils se distillent sournoisement, dans les différentes manifestations sociales sous le respectable paradigme de promotion de la culture rwandaise; ils s’infusent dans le système éducationnel, notamment à travers un enseignement biaisé inspiré par une volonté manifeste de réécriture de l’Histoire. Ils sont inculqués à la jeunesse lors de ces grand-messes de propagande que sont les « Ingando »…
Jusqu’à quand les Rwandais vont-ils continuer à subir ce rouleau imposteur et compresseur de l’idéologie néo-Kalinga?
Et s’il ne s’agissait pas que de la taille de Victoire Ingabire?
Finalement, ce n’est, peut-être, pas la taille même de Victoire Ingabire qui constitue la muleta[1] que le matador brandit devant le taureau. Sa taille, en effet, se compare très bien à celle de l’écrasante majorité des Rwandais. Même si l’allusion péjorative qui en est faite contribue à suralimenter le chauvinisme d’une certaine frange Tutsi, le point focal du courroux railleur de Kagame est la taille des idées qu’a fini par personnaliser cette politicienne. Une politicienne qui, sans verser dans un radicalisme facile, fait le pari des changements dans la continuité, des changements visant à assurer une société avec plus de solidarité et plus de justice, un système de gouvernement qui entend créer une égalité des chances à toutes les couches de la population avec, sans vouloir s’en cacher, une attention particulière envers les populations démunies des centres urbains et des campagnes.
Maximin Segasayo
[1] Muleta – Pièce de flanelle rouge tendue sur un court bâton avec laquelle le matador provoque et dirige les charges du taureau ( Le Petit Robert).
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