Grands Lacs. Les deux piliers de la doctrine militaire rwandaise appliqués dans l’agression de la RDC

La doctrine militaire de la Rwanda Defence Force’s(RDF) sur la RDC repose sur un constat d’échec de la politique du Front patriotique rwandais (FPR) à conquérir définitivement les deux territoires de Masisi et Rutshuru. Elle repose sur deux piliers, l’hégémonie expansionniste et le pillage (rapine).

 

Depuis 1996, le FPR a fait une guerre lente pour économiser les hommes (notamment la minorité Tutsi). Car, la doctrine militaire rwandaise depuis 1994 a pour soubassement idéologique un fondement démographique de la préservation d’une minorité Tutsi contre une majorité Hutu à écraser, à défaut de la neutraliser.

 

L’on peut comprendre que la priorité du régime FPR n’est pas de s’emparer d’un maximum de territoires congolais. Il ne sait quoi en faire. Il n’a pas assez d’hommes à les occuper.

Ce qui l’intéresse, c’est la partie utile habitée par les locuteurs kinyarwanda où il exploite allègrement les minerais.

 

C’est l’une des raisons pour lesquelles le régime FPR crée des rébellions à la tête desquelles, il place des Congolais essentiellement de l’est du Congo.

C’est dans la continuité de la mission de recruter des Congolais confiée à Corneille Nangaa aujourd’hui avec l’espoir que devenu chef rebelle, il pourrait drainer des populations congolaises habitant au-delà de ces deux territoires de Masisi et Rutshuru pour servir des soupapes.

 

Traduite dans les faits, cette doctrine militaire voudrait que la Rwanda Defence Force’s (RDF) opte pour la stratégie d’abandon volontaire des territoires de Masisi et Rutshuru une fois occupés pour se positionner à la limite naturelle (Kanyabayonga) entre les populations d’expression kinyarwanda et les autres (Nande, Nyanga).

 

Face aux groupes armés, la RDF est habituée à jouer le jeu du chat et de la souris, à les instrumentaliser et à les opposer les uns contre les autres pour mieux les contrôler.

Ceci, afin d’éviter l’avancée des FARDC dans une éventuelle contre-offensive qui tarde toujours à être lancée. On ne fait pas la guerre devant sa porte.

 

Pour le pouvoir FPR, une fois les parties convoitées conquises militairement, la guerre ne devient plus une urgence. Elle doit être gagnée autrement, non plus en sacrifiant inutilement les hommes. C’est ce qui explique le respect du cessez-le-feu, malgré quelques escarmouches, une fois la doctrine militaire a été bien appliquée.

 

Économiser des vies humaines rwandaises

 

Pour mieux comprendre l’économie des vies d’une population minoritaire à préserver, il faut partir du soutien de l’Ouganda dans la prise de Bunagana et de la Rwindi.

 

On aura beau accuser l’armée ougandaise (UPDF) de se battre aux côtés de l’armée rwandaise. La réalité paraît tout autre. Il faut comprendre comment sont organisées les forces militaires et paramilitaires en Ouganda.

 

En effet, en Ouganda, les sociétés militaires privées qui foisonnent sont (presque) toutes contrôlées par la famille Museveni, hier par son frère le général Salim Saley et aujourd’hui par le général Muhoozi, son fils unique.

 

Les sociétés de gardiennage en Ouganda sont des supplétifs de l’armée ougandaise surtout que, dans la plupart de cas, elles sont issues de l’ethnie du président Kaguta Museveni. Elles opèrent aux côtés de l’UPDF dans les missions à l’extérieur et parfois sont appelés à la rescousse pour mater les manifestations à l’intérieur du pays.

 

Selon des sources concordantes, le contingent ougandais qui appuie les rebelles du M23 aux côtés de la RDF serait composé par des éléments des SMP (sociétés de gardiennage) recrutés, entraînés, équipés et encadrés par l’UPDF. Ils échappent souvent au regard des forces régulières puisqu’ils répondent de la famille du Chef de l’État ougandais.

 

Une guerre économique avec un palier militaire

 

La guerre contre la RDC est une guerre économique au travers de laquelle le pouvoir FPR trouve toute sa force et sa survie. L’espace du Nord-Kivu qu’il contrôle (à peu de choses près égal à la superficie du Rwanda) lui suffit pour extraire les minerais notamment le colombo tantale de Rubaya et le niobium de Lweshe ainsi que les activités douanières et touristiques.

 

Il instrumentalise les groupes armés en échange des minerais. Une guerre conventionnelle se joue entre deux acteurs devant un monde extérieur transformé en un immense public. Or, la guerre qu’impose le Rwanda à la RDC, tout en niant la participation de son armée, ne peut être conventionnelle dans un monde où les multinationales profitent des ressources naturelles de la RDC.

 

Sa doctrine militaire l’autorise cyniquement à frapper des camps des déplacés autour de Goma sans émouvoir ceux qui en tirent bénéfice. Aussitôt que la guerre a été lancée, l’on a commis l’erreur de croire que la guerre économique était moins violente que la guerre tout court. Aujourd’hui, l’on se rend à l’évidence qu’elle est aussi meurtrière que la guerre par les armes. Elle affame Goma. Pour preuve, la ville de Goma est asphyxiée. A la rareté des denrées de première nécessité s’ajoute la hausse des prix. Paradoxal ! Entre les déplacés, la famine et l’insécurité, Goma rayonne dans l’immobilier.

 

Faire entrer la partie est du Congo dans l’hégémonie rwandaise

 

La guerre d’agression telle que vécue aujourd’hui n’aurait pas eu lieu si la RDC avait opté et accepté de demeurer dans l’hégémonie rwandaise de soumission, d’aveuglement et d’admiration comme ce fut durant le règne de Joseph Kabila.

 

Avec les opérations de brassage et de mixage, avec des opérations conjointes de traque des FDLR, c’était une offrande de Joseph Kabila à Paul Kagame. Pour ceux qui peuvent en douter, je donne l’exemple de la CHAN (championnat d’Afrique des joueurs locaux) gagnée par la RDC à Kigali dont la coupe est passée par Goma sans être célébrée de peur d’énerver le parrain. Tout refus d’entrer dans le giron hégémonique du Rwanda conduit à une guerre d’agression depuis Laurent-Désiré Kabila.

 

Félix-Antoine Tshisekedi l’a compris en retard et paie de sa détermination à vivre en congolais. Parce que préserver la souveraineté de son pays est pour un chef comme pour tout peuple une exigence morale.

 

Kagame n’a pas l’éternité devant lui

 

Pour Paul Kagame, c’est l’agression de la dernière chance. Il faut obtenir le plus vite possible une victoire définitive qui règle les problèmes que son régime a aggravés pour ne pas être rattrapé par l’histoire. C’est ce qui explique qu’il doit gagner du temps. Par des négociations. Par des dialogues. Par des trêves ou pire, par de gel de ce conflit. C’est tout ce que Museveni et lui ont imposé à Joseph Kabila. Même alors que le M23 était soutenu par Kigali et Kampala, les pourparlers devaient se passer à Munyonyo sous la présidence du ministre de la défense de l’Ouganda avec la prise en charge financière des rebelles du M23 par la RDC.

 

L’on peut comprendre les tergiversations des voisins de la RDC dont le Kenya de William Ruto à aider à la fin de sa déstabilisation. L’on doit aussi ne pas perdre de vue l’attitude des Occidentaux soufflant le chaud et le froid notamment les États-Unis qui ont une préférence pour la violence et pèsent souvent à travers l’aggravation des conflits. Parce que pour fonctionner le monde, les États-Unis ont besoin de la violence, ils ont rendu la MONUSCO inefficace.

 

Paul Kagame rêve d’un pays imaginaire, un Rwanda sans limite au Kivu ou qui doit avaler le Kivu, Idjwi et l’Ituri.

 

Voilà pourquoi le Rapport de la Commission du Parlement rwandais du 3 juin 2024 déclare, pince sans rire, que l’armée rwandaise est au Congo pour défendre les Tutsi, les Banyamulenge et les Hema. Or, les exclus Hutu sont des Rwandais de souche et font partie du Rwanda.

 

Le paradoxe dans son absurdité réside en ce que le Rwanda qui a agressé la RDC et qui occupe des territoires de la RDC apparaît aux yeux de l’ONU comme une force de paix. Il est le 4ème pays contributeurs en troupes de mission de maintien de paix de l’ONU à travers le monde.

 

Dans ces conditions, comment faire comprendre à l’ONU le désastre humain en cours en RDC depuis 30 années déjà ?

 

Pour Paul Kagame, cette agression-ci est la dernière. On la perdra ou la gagnera sinon, le temps du repli est arrivé. On n’arrête pas l’histoire. Sa roue tourne étonnement aussi vite qu’on peut l’imaginer.

 

Au stade actuel de l’évolution statique du front, le Rwanda est satisfait à 70 % et préfère que les choses en restent là. Il ne saura pas aller à Kisangani sans des supplétifs congolais qu’il ne saura pas gouverner. Masisi et Rutshuru lui suffisent amplement. Qui dit mieux !

 

Nicaise Kibel’Bel Oka

 

Source : Les coulisses

 

 

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