Procès d’Eugène Rwamucyo en France. Deuxième semaine. Synthèse du Jeudi 10 octobre 2024

L’audience judiciaire s’est poursuivie ce jour au sujet du dossier du Dr. Eugène Rwamucyo. Dans la matinée, la Cour a entendu M. Jean GAHURURU, ancien secrétaire général de la Croix Rouge rwandaise en 1994.

 

GAHURURU a déclaré que dans les rues de la capitale KIGALI, les cadavres s’amoncelaient. Il y en avait plus de 60.000 a-t-il expliqué, insistant sur la nécessité de les enterrer au plus vite pour éviter une épidémie. Les corps étaient attaqués par les chiens des rues qui commençaient à les déchiqueter. Il fallait bien gérer la question de ces cadavres qui s’entassaient et commençaient à se décomposer sous la pluie et la chaleur.

 

Interrogé sur la possibilité d’identifier ces corps et les inhumer individuellement, le témoin a répondu par la négative en insistant qu’il y en avait trop et qu’on ne disposait pas de moyens logistiques suffisants et qu’il a fallu les placer dans des fosses communes.  C’est exactement ce qui s’est passé à Butare. L’accusé était médecin et il y avait des centaines de cadavres à l’air libre. Il savait comment procéder pour éviter d’ajouter une crise sanitaire à la catastrophe qui se déroulait.

 

Dans l’après-midi, ce fut le tour de Mme Marie-Claire MWITAKUZE, ancienne secrétaire de l’ONAPO à Butare.

Le témoin déclare qu’elle ne connaissait pas le Dr RWAMUCYO avant les événements de 1994 mais ajoute qu’il s’occupait de l’assainissement à Butare. Mme Marie-Claire Mwitakuze, membre de l’ethnie tutsi, dit que l’accusé la haïssait, qu’il lui inspirait la crainte  et qu’il terrifiait tout le monde. Je me suis mise à suivre ses mouvements et épier ses moindres gestes.

 

Le témoin, venue du Rwanda, raconte qu’elle avait été cachée par un militaire dans sa maison et qu’un jour, quand elle se trouvait assise sur une planche dans le faux plafond où elle se cachait, elle a entendu à la radio Rwanda Dr RWAMUCYO déclarer en français lors d’une réunion « Nous avons fait des listes systématiques, nous allons les trouver partout où ils se cachent ». J’ai tout de suite reconnu la voix de Rwamucyo.

 

Interrogée par le Président de la Cour sur le fait qu’elle avait déclaré précédemment qu’elle ne connaissait pas Dr RWAMUCYO, elle dit « je venais de Kigali, on m’a mutée à Butare en Mars 1991 exceptionnellement car on ne mutait pas les femmes mais moi, on ne voulait pas de moi à Kigali. Dr RWAMUCYO m’a trouvée là-bas en 1992. Je ne le connaissais pas avant 1992 ».

 

Interrogée sur ses déclarations lors des auditions précédentes dans lesquelles elle indiquait être membre du Parti Libéral (PL), elle dit « C’est un homme qui avait étudié avec moi qui m’a donné une carte du PL ; j’étais au PL en secret. Je hais et je crains la politique. On travaillait en secret pour qu’on ne nous reconnaisse pas. Mon mari écoutait Radio Muhabura ; il soutenait le FPR».

 

Puis vint le tour de M. Gasana Ndoba, partie civile dans le dossier, responsable du Comité des Droits de l’Homme, anciennement basé à Bruxelles. Un comité tristement célèbre pour avoir joué un rôle néfaste dans les accusations de génocide au Rwanda déjà en janvier 1993 aux côtés de Jean Carbonare, ex-Président de Survie. Il y intervenait comme un témoin de contexte. Selon Gasana Ndoba, le génocide au Rwanda fut surtout l’œuvre des intellectuels notamment les universitaires de Butare. Et le Dr. Rwamucyo aurait joué un rôle de premier plan. Selon lui, Dr Rwamucyo a ramassé les corps dans la ville de Butare et les a ensevelis. Il détiendrait donc des informations sur les victimes et les circonstances de leurs morts y compris son défunt frère KARENZI Pierre Claver qui était professeur de Physique et Chimie à l’UNR. Le témoin présente également l’accusé comme étant violent, arrogant et ethniste pro-Habyarimana.

 

Par ailleurs, interrogé par la défense de l’accusé sur sa déposition lors du procès à Bruxelles de Vincent Ntezimana, il a déclaré n’avoir jamais cité le nom du Dr. Eugène Rwamucyo. Mais, il estime qu’il porte une responsabilité de haine ethnique dans la tragédie rwandaise. Corroborant son propos, il a ajouté que l’accusé aurait menacé personnellement le juriste René Degni-Segui, auteur d’un rapport sur les massacres au Rwanda en 1993, sans fournir la moindre preuve pour appuyer cette accusation.

 

En fin de journée, la Cour a entendu la déposition du Dr Rony ZACHARIAH, Médecin, ancien responsable de Médecins Sans Frontières (MSF) à BUTARE, actuellement en poste à l’OMS à Genève. Arrivé à Kigali en février 1994, il s’en alla le 24 avril 1994 pour le Burundi. Il déclare ne pas connaitre Dr RWAMUCYO. Son activité consistait essentiellement à suivre le travail au quotidien des agents de l’ONG déployés dans les différents camps de réfugiés burundais notamment dans la ville de Butare.

 

À ce propos, il a assisté à la dégradation progressive du climat sécuritaire,  sanitaire, social et politique du pays et de Butare en particulier. Il fut personnellement témoin des contrôles d’identité avec la mention  » Tutsi » ou  » Hutu » et des barrières à Butare et Gikongoro.

 

Il a vu de nombreux cadavres dans la ville de Butare et les villages environnants.

Certains corps étaient jetés dans la rivière Akanyaru qui se déversait à son tour dans le lac Victoria en Ouganda. Le Président ougandais Museveni protestera contre cet état de fait qui polluait la qualité des poissons du lac Victoria.

 

À propos de l’inhumation des cadavres, le témoin pense qu’il n’ya pas de doctrine scientifique formelle et que tout dépend de la logistique et des commodités à user pour enterrer les victimes afin d’éviter des problèmes d’hygiène. Il rappelle aussi que dans le contexte de génocide, il peut comprendre les enfouissements rapides de cadavres afin d’éviter des risques de décomposition et d’amoncellements des dépouilles entrainant d’éventuelles épidémies.

 

Selon l’ancien coordinateur de MSF à Butare, il n’a pas vu dans la ville de Butare des rues jonchées de cadavres. Il a offert des soins indistinctement aux réfugiés et aux soldats de l’armée rwandaise blessés au front.

 

L’audience est suspendue à 20H11 et reprendra le vendredi matin à 09H30.

 

Jane Mugeni

 

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