Rwanda : le mythe du mouvement “Hutu Power” en question
Le gouvernement rwandais et ses propagandistes ont longtemps promu l’idée que Froduald Karamira était le chef et le créateur de la soi-disant faction « Hutu Power », qui aurait existé avant le génocide de 1994 et joué un rôle clé dans l’incitation aux massacres de masse. Cependant, un examen attentif des archives historiques, en particulier des procédures judiciaires de Karamira, révèle que cette narration est une fabrication conçue pour servir les intérêts du régime de Kigali et soutenir son récit sur le massacre de centaines de milliers rwandais, tout en masquant son propre rôle.
Le procès de Froduald Karamira : l’absence d’accusations liées au Hutu Power
Malgré l’affirmation généralisée selon laquelle Karamira aurait fondé et dirigé un mouvement extrémiste hutu, les documents de son procès ne font aucune référence à une telle organisation. Son jugement judiciaire, détaillant les charges, les procédures et le verdict, ne mentionne pas « Hutu Power » en tant qu’organisation ou mouvement. Cette omission contredit directement l’affirmation du gouvernement rwandais selon laquelle Karamira aurait joué un rôle majeur dans la promotion d’une idéologie génocidaire avant le génocide de 1994.
De plus, d’autres hauts responsables accusés d’avoir appartenu à ce groupe prétendument extrémiste ont été jugés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), et la majorité d’entre eux ont été acquittés de toute implication dans le génocide. Parmi eux figurent des ministres tels qu’André Ntagerura, Casimir Bizimungu, Jérôme Bicamumpaka, Prosper Mugiraneza et Justin Mugenzi, qui ont tous été déclarés non coupables malgré les accusations les liant au mouvement « Hutu Power ». Si Karamira avait réellement créé et dirigé un tel mouvement, le TPIR en aurait trouvé la preuve et aurait tenu ses membres responsables. Au lieu de cela, le régime de Kigali a organisé un procès expéditif contre lui, aboutissant à sa condamnation et à son exécution en 1998.
La falsification du discours de Karamira
L’un des principaux éléments de manipulation utilisés pour associer Karamira au prétendu mouvement Hutu Power est un rassemblement politique qu’il a organisé avant le génocide. Le gouvernement affirme que, lors de ce meeting, il aurait incité la population hutue à haïr les Tutsis et à se préparer aux massacres de masse. Cependant, une analyse factuelle de son discours montre qu’il n’a jamais prôné la violence contre les Tutsi.
Dans son discours, Karamira a abordé le conflit en cours entre le gouvernement rwandais et le Front patriotique rwandais (FPR), qui avait violé plusieurs accords de cessez-le-feu et poursuivait son agression militaire. Il a déclaré que si les rebelles du FPR refusaient de cesser les hostilités et d’intégrer le processus de paix et la participation politique, alors son parti politique, ainsi que d’autres partis d’opposition, suspendraient leurs activités d’opposition et rejoindraient le parti au pouvoir pour combattre le FPR. Il a souligné que tous les partis politiques avaient la capacité de le faire. Une fois le conflit terminé, selon lui, ces partis retourneraient à la compétition politique normale dans un Rwanda pacifique et sans guerre.
Il est important de noter que Karamira n’a jamais mentionné une seule fois l’expression « Hutu Power » dans son discours. L’attribution de ce terme à lui est entièrement fabriquée. Ses paroles ont été déformées et utilisées par le FPR pour soutenir sa thèse selon laquelle les massacres avaient été planifiés bien avant 1994 et que des figures comme Karamira avaient incité systématiquement la population à commettre un génocide. Cependant, aucune preuve crédible ne vient étayer cette narration, et le TPIR n’a condamné personne pour avoir planifié à l’avance le génocide contre les Tutsi.
L’exploitation de l’héritage de Karamira
Les fausses accusations du FPR à l’encontre de Karamira ont été tellement répandues qu’elles se sont retrouvées dans les livres d’histoire, la littérature académique et même les mémoriaux du génocide. Ces distorsions ont été utilisées pour justifier les politiques répressives du régime de Kagame et pour délégitimer toute opposition à son pouvoir.
En outre, le FPR a stratégiquement assimilé toute manifestation de patriotisme exprimée par l’opposition à son agression militaire – qui a causé la mort de nombreuses personnes et déplacé deux millions de personnes – un mouvement Hutu Power prétendument animé par la haine ethnique.
Si Karamira avait été jugé par le TPIR, il est fort probable qu’il aurait été acquitté, tout comme les autres élites politiques qui ont travaillé à ses côtés. Au lieu de cela, il est devenu victime de la machine de propagande du FPR, qui a cherché à justifier son pouvoir post-génocide en le présentant comme un instigateur d’un mouvement extrémiste qui, en réalité, n’a jamais existé. Son procès à Kigali était une mascarade judiciaire, destinée non pas à établir la vérité mais à renforcer la version des faits du régime et à éliminer les opposants politiques.
L’exécution de Karamira en 1998 n’était pas un acte de justice, mais un assassinat politique destiné à faire taire la dissidence et à cimenter la version de l’histoire du FPR. Son cas demeure un exemple flagrant de la manière dont la propagande peut être utilisée pour réécrire l’histoire et justifier un régime autoritaire. Aujourd’hui, il est impératif que la vérité soit dite et que l’histoire réelle du Rwanda soit enregistrée avec exactitude.
Jane Mugeni
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