La guerre en RDC: une guerre ethnique selon le président Kagame

Lors d’une réunion des dirigeants des pays de l’EAC et de la SADC organisée en Tanzanie le 08 février 2025 pour débattre de la guerre en République Démocratique du Congo, le président Kagame a déclaré que le Rwanda ne s’apprête pas à se taire et que la RDC, ainsi que d’autres, ne pourront pas le faire taire tant que la sécurité de son pays sera en danger.

 

Il a souligné : « la République Démocratique du Congo ne peut pas nous faire taire tant que des problèmes de sécurité menacent notre pays. Personne ne nous réduira au silence. » Il a également affirmé qu’il n’était pas acceptable que l’on continue à se lamenter après les problèmes, ajoutant que la situation actuelle est une guerre ethnique qui dure depuis longtemps, privant les gens de leurs droits et attaquant le Rwanda. Il a conclu qu’il fallait accorder les droits aux gens, faire un pas en avant et ensuite résoudre les problèmes.

 

De quelle ethnie parle le président Kagame ?

 

Les ethnies concernées dans le contexte de la guerre en RDC par Kagame sont principalement les Hutus et les Tutsis. Le conflit en RDC est souvent lié à la question des Hutus et des Tutsis, en particulier à la suite du génocide au Rwanda en 1994. Après ce génocide, un grand nombre de Hutus ont fui vers l’Est de la RDC, où ils ont formé des groupes armés. Ces groupes sont souvent en opposition avec les Tutsis, qui vivent dans cette région, en particulier dans les zones de l’est du pays, comme le Kivu.

 

Les références à une « guerre ethnique » dans le discours du président Kagame se réfèrent donc à des rivalités ethniques, particulièrement entre les Hutus et les Tutsis dans les deux Kivu où les deux ethnies sont présentes, mais aussi à la dimension régionale du conflit.

 

Les propos de Kagame s’inscrivent dans un contexte similaire à ceux de Muhoozi Kainerugaba, fils de Yoweri Museveni et dirigeant militaire en Ouganda, dont les déclarations et actions ont effectivement suscité des controverses et des spéculations sur ses opinions concernant les dynamiques ethniques et géopolitiques dans la région des Grands Lacs, notamment en ce qui concerne la sémantique Hima-Tutsi. Certaines de ses déclarations ont été interprétées comme renforçant l’idée d’un projet impérialiste ou expansionniste, visant à établir la domination des Tutsis, en particulier des Hima-Tutsi, sur les autres groupes ethniques de la région, notamment les Bantous, dont les Hutus font partie.

 

Muhoozi Kainerugaba a publié plusieurs tweets qui ont provoqué des débats et des critiques, notamment à propos de ce qu’il a appelé « l’opération Rudahigwa ». Dans ces tweets, il semble évoquer des objectifs expansionnistes et des tentatives d’assujettir des populations, notamment en relation avec les groupes ethniques bantous, qui sont souvent associés aux Hutus et à d’autres groupes africains dans la région des Grands Lacs.

 

Les perspectives critiques sur la géopolitique des Grands Lacs : vision impérialisme ethnique

 

Le livre « La guerre mondiale africaine » de Noël Ndanyuzwe propose une analyse des conflits géopolitiques dans la région des Grands Lacs, en mettant l’accent sur les rôles de Paul Kagame (Rwanda) et de Yoweri Museveni (Ouganda).

 

L’auteur suggère que ces dirigeants auraient l’ambition de créer un « empire Hima Tutsi » dans cette région comprenant plusieurs pays d’Afrique centrale et de l’Est. Selon Ndanyuzwe, leur vision commune viserait à établir une sphère d’influence dominée par les Tutsis, au détriment des autres groupes ethniques.

 

L’auteur soutient que les interventions militaires du Rwanda et de l’Ouganda, en particulier dans la République Démocratique du Congo (RDC), ainsi que leur soutien à des groupes rebelles, seraient des stratégies visant à affaiblir les groupes ethniques rivaux, comme les Hutus, et à installer des régimes alliés aux intérêts tutsis.

 

Les guerres en RDC, notamment la première et la deuxième guerre du Congo, sont analysées comme des tentatives de déstabilisation pour permettre aux Tutsis d’exercer une influence politique et militaire prépondérante dans la région.

 

Charles Onana, journaliste et écrivain camerounais, est connu pour ses ouvrages et analyses pertinentes sur les événements de la région des Grands Lacs, en particulier sur le Rwanda et la République Démocratique du Congo (RDC). Il soulève le projet de la balkanisation de la RD-Congo, élaboré par les think-tank occidentaux, en particulier américains, depuis plusieurs années. La conquête des villes du Kivu que sont Goma et Bukavu en ces mois de janvier-février 2025 en est une éloquente illustration.

 

Dans ses livres, il propose une perspective critique de l’histoire du Rwanda, des conflits dans la région des Grands Lacs et du rôle des dirigeants tutsis, notamment Paul Kagame. Ses travaux s’inscrivent souvent dans un cadre de critique de ce qu’il considère comme une forme d’impérialisme tutsi dans la région, en mettant l’accent sur les dynamiques de pouvoir, de politique et d’influence géopolitique.

 

Dans ses travaux, Onana aborde l’idée d’un « impérialisme tutsi » en gestation au vue de la guerre à l’Est de la République Démocratique du Congo. Selon lui, les dirigeants extrémistes tutsis comme Paul Kagame et le Front Patriotique Rwandais (FPR), ont adopté une politique expansionniste visant à étendre leur influence et leur pouvoir au-delà du Rwanda, y compris en soutenant des groupes tutsis de leur obédience en RDC et dans d’autres pays voisins.

 

Charles Onana soutient, avec raison, que le Rwanda sous Kagame, cherche à imposer son hégémonie dans la région des Grands Lacs, notamment par le biais d’interventions militaires et de la manipulation des dynamiques ethniques et politiques au sein des pays voisins.

 

La guerre en RD-Congo est une guerre économique et géopolitique

 

La guerre au Congo est avant tout une guerre économique et géopolitique, centrée sur l’accès aux ressources naturelles stratégiques du pays, telles que le cobalt, le cuivre, le coltan et l’or, qui sont cruciales pour l’économie mondiale, notamment dans les secteurs de la technologie, de l’énergie et de l’armement.

 

Des puissances étrangères, comme les États-Unis et la Chine, ont des intérêts directs dans ces ressources, ce qui alimente les conflits internes et les interventions extérieures. La guerre a également vu l’émergence de diverses alliances géopolitiques, avec des acteurs internationaux soutenant différents groupes ou partis, ce qui renforce la dimension stratégique de ce conflit, à la fois au niveau mondial et régional.

 

Le rôle du président Kagame comme « commissionnaire de l’impérialiste occidental »

 

La guerre en République Démocratique du Congo (RDC) est perçue par plusieurs analystes comme une guerre géopolitique dans laquelle le Rwanda joue un rôle de « mandataire » pour les puissances occidentales, facilitant l’exploitation des ressources naturelles du Congo et contribuant à la stabilité des intérêts géopolitiques occidentaux en Afrique centrale.

 

Le Congo, riche en ressources stratégiques, suscite l’intérêt direct des puissances occidentales, qui cherchent à sécuriser leur accès à ces minerais essentiels pour leurs industries mondiales. Dans ce contexte, le Rwanda est accusé de jouer un rôle dans le contrôle de l’exploitation de ces ressources, facilitant parfois leur extraction illégale dans l’Est du Congo, où des multinationales profitent de l’instabilité pour obtenir ces minerais à bas prix et sans grande régulation.

 

Bien que le Rwanda agisse de manière autonome, sa coopération avec des puissances comme les États-Unis et la France a parfois légitimé son intervention militaire en RDC. Perçu comme un « mandataire », le Rwanda soutient des groupes rebelles et déstabilise la région, créant ainsi un environnement favorable au contrôle des ressources naturelles par les puissances étrangères. Cette instabilité, alimentée par le Rwanda, permet aux puissances occidentales de maintenir un contrôle indirect sur la région, agissant dans une logique de guerre par procuration.

 

Certains critiques estiment que, sous couvert de protéger sa sécurité, le Rwanda a agi comme un agent des puissances occidentales pour maintenir leur contrôle sur le Congo et ses ressources, notamment en soutenant des groupes rebelles comme le M23. Parallèlement, des enquêtes ont révélé que des entreprises occidentales étaient impliquées dans l’exploitation illégale des ressources, profitant de l’instabilité en RDC pour faciliter cette extraction illégale et l’accès aux minerai rares à bas prix.

 

Dans cette dynamique, le Rwanda est parfois considéré comme un outil des puissances occidentales pour atteindre leurs objectifs géopolitiques en Afrique centrale. Malgré les critiques internationales concernant ses actions, il bénéficie du soutien tacite des puissances occidentales, ce qui suggère qu’il est utilisé comme un levier pour éviter une responsabilité directe dans le conflit tout en poursuivant des intérêts géopolitiques plus larges.

 

En somme, le Rwanda est utilisé comme un instrument par les puissances occidentales pour protéger leurs intérêts géopolitiques et économiques dans la région des Grands Lacs. En soutenant des groupes rebelles et en intervenant militairement en RDC, le pays joue un rôle clé dans l’instabilité régionale, permettant à l’Occident d’exploiter les ressources naturelles du Congo tout en maintenant un contrôle indirect sur la région.

 

Conclusion

 

Contrairement à la thèse de Kagame selon laquelle la guerre du Congo est une guerre ethnique, le conflit en République Démocratique du Congo (RDC) dépasse largement les seules considérations ethniques. Elle est également le théâtre d’enjeux géopolitiques et économiques complexes. Les puissances internationales, les entreprises multinationales, ainsi que les pays voisins, ont tous des intérêts stratégiques dans la région, que ce soit pour le contrôle des ressources naturelles, telles que les minerais précieux, ou pour la préservation de leurs zones d’influence en Afrique centrale. En ce sens, la guerre du Congo est un affrontement où les dynamiques internes se mêlent aux rivalités géopolitiques mondiales, exacerbant ainsi un conflit qui dure depuis plusieurs décennies et qui a des répercussions profondes sur la stabilité régionale et le développement économique du pays.

 

Vestine Mukanoheri

Analyste politique

 

 

 

 

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