Congo : le nom qui apporte la malédiction à un pays
Le texte ci-après est une réflexion du Dr Ekongo Lofalanga Elem’s. Vous trouverez l’intégralité du texte en attaché à la fin de l’article. Nous en publions un avant -propos dont le titre est : « Les ombres d’un nom ».
Sous le voile d’une nuit sans fin, le grand fleuve Congo s’étend, majestueux et silencieux, ses eaux sombres coulant comme un linceul liquide sur les secrets d’un peuple. C’est ici, sur ces rives où la terre exhale une odeur de boue et de mémoire, que je me tiens, humble témoin d’un murmure qui traverse les âges. Non pas le doux chant des oiseaux nocturnes ou le frisson des feuilles dans la brise, mais un grondement profond, une lamentation qui s’élève des entrailles de cette terre sacrée – un cri qui ne trouve point de repos.
Il y a des siècles, bien avant que les étoiles ne contemplent mon ombre sur cette rive, un royaume florissant s’élevait ici, le royaume Kongo, dont les tambours résonnaient d’une fierté ancienne. C’était au temps où les ancêtres veillaient, gardiens d’une harmonie entre les vivants et les esprits. Mais vint l’année 1483, lorsque les voiles blanches des Portugais percèrent l’horizon, apportant avec eux des promesses d’échanges et des chaînes dissimulées. Les rois du Kongo, éblouis par des miroirs, des perles et des étoffes, firent un pacte funeste : ils livrèrent leurs propres fils et filles, leurs frères et sœurs, à la traite négrière, troquant des âmes contre des babioles. Ainsi naquit la trahison, une faute originelle dont l’écho ne s’est jamais tu.
Les siècles passèrent, et le nom « Kongo » devint « Congo », un mot qui, en 1885, fut gravé dans le sang par un roi blanc, Léopold II, maître de l’État indépendant du Congo. Sous son règne, de 1885 à 1908, plus de dix millions d’âmes périrent – des mains coupées pour un quota de caoutchouc non atteint, des villages rasés, des enfants arrachés à leurs mères. Les eaux du fleuve, témoins muets, charrièrent les pleurs de ces martyrs, et le nom « Congo » s’alourdit d’une malédiction plus sombre encore. Puis vint le Congo belge, de 1908 à 1960, où l’exploitation se drapa d’un vernis civilisateur, mais où les chaînes restèrent, invisibles, serrant les cœurs et les terres.
L’indépendance, en 1960, aurait pu briser ce joug. Mais le nom « Congo » demeura, et avec lui, les guerres – rébellions, sécessions, massacres un peu partout dans ce pays, comme à l’est, à Bukavu en 1967, où le sang coula encore, après les désastres sanglants de 1960 à 1965. Pourtant, un miracle survint en 1971, lorsque ce nom maudit fut abandonné pour un autre : « Zaïre ». Inspiré du fleuve Nzadi dont les affluents irriguent l’ensemble du pays, ce mot portait une promesse de paix, une lumière dans les ténèbres.
C’est ainsi que pendant vingt-cinq ans, jusqu’en 1997, le pays respira, uni sous une bannière qui semblait apaiser les esprits des ancêtres en dépit de quelques soubresauts éphémères dans la province du Shaba (Katanga). Durant cette période, les cris s’adoucirent, les ancêtres parurent pardonner les trahisons du passé. Mais en 1997, le nom « Congo » revint, et avec lui, une litanie de malheurs – guerres civiles, massacres, pillages, misère indescriptible, génocide ; comme si la malédiction, endormie, s’était réveillée avec une fureur redoublée.
Et ce n’est pas seulement les ancêtres du royaume Kongo qui pleurent. Dans l’immense étendue qu’on nomme aujourd’hui la République Démocratique du Congo, d’autres ancêtres grondent, ceux des royaumes Luba et Lunda, dont les trônes d’ivoire et les lois sacrées régnaient au cœur des savanes, ceux du royaume Kuba, artisans d’un art divin, et ceux des terres jadis souveraines du nord et de l’est de ce pays. Les Bangala, peuple fluvial, se divisaient en groupes fiers – les Mongo, les Ngombe, les Budja – chacun avec ses esprits gardiens le long des eaux du fleuve et des rivières. Et dans les montagnes du Sud-Kivu et du Nord-Kivu, des petits royaumes des Bami – Shi, Vira, Fuliro, Lega, Hunde – dressaient leurs palais de bois et de pierre, leurs terres sanctifiées par des rites que le royaume Kongo n’avait jamais touchés. Ces ancêtres, étrangers à la faute des rois du Kongo, voient leurs descendants affublés du nom « Congolais », une identité imposée qui profane leurs sanctuaires et leurs lignées. Leur colère, mêlée aux plaintes des captifs du Royaume Kongo troqués par les rois du passé, forme une tempête spirituelle funeste qui ébranle les fondations de la nation.
Debout sur cette rive du fleuve, je sens leur présence. Nzinga, reine indomptable, dont la voix tonne contre ceux qui ont vendu leur peuple. Kimpa Vita, prophétesse martyre, dont les prières brûlées en 1706 résonnent encore dans le vent. Et avec elles, les millions d’ombres, leurs regards posés sur moi, me demandant : Pourquoi ce nom persiste-t-il ? Pourquoi portons-nous encore cette chaîne invisible ? Le fleuve, impassible, reflète la lune, mais ses eaux semblent murmurer une vérité : « Congo » n’est pas qu’un nom. C’est une blessure ouverte, une malédiction tissée dans les fibres de notre histoire, une plainte qui vibre dans la terre et dans nos âmes.
Ce livre n’est pas une chronique froide ou un amas de dates et de faits. C’est une quête vivante, un voyage au cœur d’un nom qui a façonné le destin de tout un peuple – un nom que j’ai entendu dans les récits de mes aïeux, dans les pleurs des déplacés, dans le silence des forêts ravagées. Et si ce nom pouvait être conjuré ? Et si, en le changeant, nous pouvions rendre aux ancêtres leur paix, et à notre peuple son avenir ? À travers ces pages, je vous invite à écouter ces voix, à marcher avec moi sur les rives du temps, et à découvrir que le Congo n’est pas seul – d’autres nations, d’autres noms, portent eux aussi des bénédictions ou des malédictions. Car dans chaque nom repose une âme, et dans chaque âme, un destin.
Dr Ekongo Lofalanga Elem’s ; MD, Msc, MPH
Consultant international en Santé Publique &
en Socio-anthropologie appliquée à la Santé Publique
Tél. & WhatsApp : +257 61 21 73 55 / + 257 68 70 00 21
Skype ID: jr-ekongo
Google search : Ekongo Lofalanga
Intégralité du texte : Livre Congo_le nom de la malédiction
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