Hommage à Ahmed Dini Ahmed

Il y a 20 ans disparaissait Ahmed Dini : l’hommage de Farah Abdillahi Miguil à une nation en quête d’identité.

Le 12 septembre 2024 marque le 20e anniversaire de la disparition d’Ahmed Dini, une figure incontournable de l’histoire de Djibouti et du combat pour l’indépendance. À l’aube de cette date commémorative, il est crucial de raviver la mémoire de cet homme d’exception, dont le dévouement à la liberté et à la justice sociale reste une source d’inspiration pour les générations futures.

Dans un monde où les héros sont parfois vite oubliés, Ahmed Dini s’est imposé par son courage, son intégrité et son engagement envers une nation encore jeune et en construction.

L’article que vous vous apprêtez à lire, écrit le 12 septembre 2010, par Farah Abdillahi Miguil, rend hommage à sa mémoire et à ses valeurs, des valeurs qui résonnent toujours profondément en 2024.

En relisant ces mots, nous honorons non seulement sa mémoire, mais aussi les valeurs qu’il a défendues pour une nation encore en quête d’identité. Que son souvenir ne cesse d’éclairer notre chemin en 2024, comme il l’a fait en son temps.

 

Hommage à Ahmed Dini Ahmed

 

C’était un 12 septembre 2004 qu’Ahmed Dini nous quittait pour toujours. Cet homme de foi, qui ne s’était prosterné que devant Allah, avait un seul souci : être au service de l’Homme en servant sa patrie. La grande majorité du peuple de Djibouti admirait le courage, l’intégrité, l’intelligence, le verbe et l’humour de cet homme, contrairement à ceux qui étaient au pouvoir pour se servir et à qui il rappelait, par sa présence, leurs médiocrités, leur goût prononcé pour la corruption et leurs calculs bassement primaires.

 

Lorsque, le 27 juin 1977, il prononça cette phrase pour laquelle tant d’héros connus ou anonymes, fils, filles, mères et pères, étaient morts, à savoir : « … la République de Djibouti, une, indivisible et souveraine, est née… », du perchoir de l’Assemblée nationale, j’avais 10 ans. Et lorsqu’au lycée, la conscience citoyenne commençait à devenir un compagnon de tous les jours et que nos héros s’appelaient Malcolm X, Amílcar Cabral, Lumumba, nous étions tombés sur un vide abyssal lorsque nous cherchions à connaître un peu plus ceux qui, dans notre patrie, avaient incarné le combat contre le colonialisme. Comme si tout était fait pour gommer les histoires dérangeantes des héros nationaux d’une république voulue « sans mémoire ».

 

C’est à son retour au pays, pour la signature de l’Accord de réforme et de concorde civile en 2001, que j’avais eu la chance de m’entretenir durant une heure, pour la première et la dernière fois, avec Monsieur Ahmed Dini. J’avais été impressionné par sa lucidité et sa mémoire pour un homme de son âge. Surtout, j’avais été ému par tant de sacrifices consentis au cours de sa vie. À la fin, il m’avait dit : « Tu sais, le paradoxe des Djiboutiens, c’est qu’ils attendent tout du pouvoir : la démocratie, la liberté d’expression, la liberté syndicale… alors que rien ne se donne, car tout pouvoir est accapareur. Et surtout, on connaît la valeur d’une chose pour laquelle on s’est battu. Ce sera très difficile pour un pouvoir de revenir sur une conquête citoyenne obtenue au prix des sacrifices sociaux. »

 

Il avait rêvé d’une nation où l’ostracisme communautaire serait cloué au pilori, mais malheureusement, il est mort avant d’avoir atteint l’objet de son sacrifice. J’ai écrit ces quelques mots pour que la mémoire d’un homme exceptionnel ne tombe pas dans les oubliettes de l’histoire.

 

Je finirai mon hommage par ces quelques mots, extraits d’un texte écrit par Omar Osman Rabeh, compagnon de lutte d’Ahmed Dini contre le parti unique et le monolithisme politique, pour honorer la mémoire de ce dernier juste après sa mort :

 

« La mort de Dini est une perte pour les Djiboutiens. Ils l’auront finalement laissé “partir” sans faire usage de son génie… (…) En Afrique, voir “autrement”, vouloir dire “autre chose” est un crime… Ici, le “qui est différent de moi m’enrichit” (Saint-Exupéry) n’existe pas. La différence d’opinion est perçue, non plus comme un apport, un enrichissement, mais comme une opposition ; et tout opposant est un “ennemi” à éliminer, un homme à mater et à faire taire, à détruire et à réduire à zéro… (…). Par deux fois, et comme par inadvertance, Dini avait été Premier ministre, avant et après l’indépendance ; et chaque fois, seulement pour quelques mois… Je le rencontrais pour la première fois à l’occasion des événements marquant la visite du Général de Gaulle à Djibouti, en août 1966. Il devait alors approcher la quarantaine, étant de vingt ans mon aîné. Sa forte personnalité, son courage et sa noblesse de caractère, sa grande et brillante intelligence, comme sa culture, étaient impressionnants. Mais il avait aussi d’autres qualités, non moins remarquables, qui ajoutaient à mon admiration. Tout d’abord, sa vie n’était entachée d’aucune de ces détestables habitudes qui flétrissent l’être humain en provoquant une déperdition de sens et de substance, de dignité et d’honneur. Il est des vies qui s’usent dans l’inutile avant l’heure, prématurément défraîchies, et qui vont décroissant, comme à vue d’œil… Dépérissant dans la conscience obscure de l’agonie et de l’auto-annihilation : le khat, l’alcool, les femmes, etc. Mais Dini menait une existence stable, saine et sereine. Il était, pour ainsi dire, entier, toujours éveillé et d`une présence totale. La peur, la mesquinerie, la frivolité, et moins encore la servilité, ne s’accordaient guère avec sa nature chevaleresque. Il était digne. Eux étaient jaloux de sa liberté d’esprit et de son indépendance… ».

 

Farah Abdillahi Miguil

 

 

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