Nouveaux médiateurs dans l’agression contre la RDC. Retour à la case départ ?

Malgré plusieurs signes indiquant que le Rwanda de Paul Kagame est de plus en plus sous pressions pour son agression en RDC, dans les forums diplomatiques c’est la logique de “ la loi du plus fort militairement” qui est suivie. Comme quoi  : “Malheurs aux vaincus” !

 

Après la déconfiture et la débandade de ses forces armées (FARDC), la RDC est maintenant diplomatiquement piégée dans les instances africaines par son agresseur Paul Kagame.

 

L’on notera que dans la toute nouvelle phase de la guerre de conquête de la RDC relancée par Paul Kagame sous ses supplétifs du M23 en 2021, la “guerre éclaire“ qui permit la conquête des villes de Goma et de Bukavu à moins d’une quinzaine de jours s’est déroulée fin janvier et début février 2025.

 

A ce moment, le médiateur désigné dans la résolution de ce conflit, à savoir le président de l’Angola João Lourenço, accédait aussi à la présidence tournante de l’Union Africaine. João Lourenço, facilitateur du processus de Luanda, avait annoncé se mettre en retrait de son poste pour prendre la tête de l’Union africaine.

 

Comme nous allons le voir, dans le choix des nouveaux “médiateurs” dans ce conflit, Paul Kagame impose ses préférences, et l’EAC, et même la SADC, obtempèrent. Car c’est “la loi du plus fort qui est toujours la meilleure” et dans une guerre, “malheurs aux vaincu.”!

 

C’est dans un communiqué non daté, mais diffusé le 24 février 2025, que l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta, l’ex-président nigérian Olusegun Obasanjo et l’ancien premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn ont été désignés, comme facilitateurs du processus de paix conjoint entre la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).

 

Comme il se voit, Paul Kagame a posé ses conditions.

Tout d’abord, il a exigé que le médiateur ne devrait point être un ressortissant d’un pays membre de la SADC. Ce qui fut automatiquement approuvé.

Ensuite que le ou les médiateurs ne devraient pas être des ressortissants de pays francophones d’Afrique.

Enfin qu’il propose lui-même les noms des personnalités à désigner comme médiateurs en remplacement du président de l’Angola, ce qui fut aussi acté. Et sur le fond, de faire table-rase du processus de Luanda et de ne retenir de celui de Nairobi que l’aspect de négocier avec les groupes armés mais en particulier son M23.

 

De même, il est à croire que Paul Kagame est intervenu dans le choix des personnés désignées, à savoir Uhuru Kenyatta, Olusegun Obassanjo et Hailemariam Desalegn.

 

Une petite biographie de ces médiateurs africains est révélatrice des dessus de leur désignation.

 

Uhuru Kenyatta

 

L’ex-président du Kenya a eu les préférences de Paul Kagame car comme agissant sous le consentement de son remplaçant à la tête du pays William Ruto qui est un ami proche de Kagame via Yoweri Museveni et surtout son fils et dauphin désigné le tonitruant et imprévisible général Muhoozi, chef d’Etat-Major général des armées en Ouganda. Ces deux militent et véhiculent une idéologie de  suprématie tribale comme Paul Kagame et son FPR. Il devait donc avaliser le choix de Paul Kagame dans la désignation de ces nouveaux médiateurs.

 

Ce n’est pas non plus anodin que l’on a noté que l’obscure Alliance du Fleuve Congo ( AFC) qui se veut la branche politique du M23 et présidée par Corneille Nangaa est née à Nairobi et annoncée au monde par  les médias officiels du Kenya en décembre 2024. Et plus récemment c’est au Kenya où fut kidnappé et amené en Ouganda  Cyiza Besigye, l’opposant historique au régime de Yoweri Museveni qui règne sur l’Ouganda depuis 40 ans.

 

Olusegun Obassanjo

 

L’ancien président du Nigeria, le général Olusegun Obassanjo aujourd’hui âgé de 87 ans, est connu pour avoir joué le même rôle de médiateur en RDC dans les années 2010 quand le CNDP toujours créé et soutenu par Paul Kagame et commandé par Laurent Nkunda occupait des territoires du Nord Kivu en RDC. Olusegun Obassanjo s’était alors exhibé aux côtés de Laurent Nkunda dans les zones de Rutshuru et avait déclaré que ce dernier avait une stature de chef d’Etat et qu’il lui souhaitait plein succès.

Le CNDP s’est transformé en M23 et Laurent Nkunda s’est replié au Rwanda d’où il supervise toujours ce mouvement. En 2012 le M23 avait alors pris la ville de Goma avant de l’évacuer sous pressions de certaines puissances et organisations. Et voilà le médiateur qui ne peut être qu’une manne pour Paul Kagame.

 

Hailemariam Desalegn

 

La préférence de Paul Kagame à cet ancien Premier ministre d’Ethiopie s’explique par le fait que, faute d’avoir obtenu l’accord du Premier ministre actuel Abiy Ahmed, il a accepté son prédécesseur qui recevra des directives de son successeur. En effet Ayib Ahmed se considère toujours comme un Inkotanyi, ou combattant du FPR depuis qu’il commandait une unité venue prêter main forte au FPR de Paul Kagame lors de son assaut final pour la conquête du Rwanda en avril 1994. Il était âgé d’à peine de 18 ans et avait le grade de sous-lieutenant et commandait une Compagnie de fantassins. C’est cette compagnie et toujours sous son commandement qui s’est, comme par magie, transformée en un premier contingent des casques bleus de l’ONU de MINUAR II, juste après la conquête  du pays par le FPR en juillet 1994. C’est notamment lui qui contrôlait les réfugiés Hutu qui, escortés par les éléments de l’Opération Turquoise, passaient à la douane de Cyangugu (Rusizi) vers Bukavu en juillet et août 1994.  Paul Kagame aura donc indirectement son ancien lieutenant comme médiateur dans sa guerre en RDC.

 

Logique suivie par les décideurs de l’EAC et SADC

 

“C’est le rapport des forces militaires sur le terrain qui donne du poids aux arguments juridico-diplomatiques de chaque partie en négociations.” Ainsi donc le gouvernement de la RDC en guerre avec une armée vaincue au front a le dos au mur et tout sursaut et salut ne peut provenir que du rapport de forces sur le terrain ; à ne pas en vouloir aux diplomates.

 

Répercutions sur le terrain

 

Pendant ce temps, les rebelles de l’AFC/M23 maintiennent leur contrôle sur plusieurs villes de l’Est de la RDC, dont Goma et Bukavu, et menacent d’avancer vers d’autres localités. La situation humanitaire continue de se dégrader

 

Récupération politique pour certains

 

Dans une telle situation où le rapport de forces militaires indique clairement qui, des deux belligérants, a le vent en poupe, c’est l’occasion rêvée pour certains acteurs de s’exhiber sur la scène médiatico-politique et pour certains de se faire offrir une part du gâteau qui s’annonce consécutivement à la défaite militaire apparente de l’un des belligérants.

 

C’est dans ce cadre qu’il faudrait placer l’activisme débordante des chefs religieux catholiques et protestants qui, comme toujours, veulent se positionner comme “faiseurs de rois “ en RDC et surtout comme “autorité morale” de tout politicien congolais.

 

C’est aussi et surtout l’occasion de l’ex-président Joseph Kabila d’opérer son retour politique.

 

Joseph Kabila a exercé le pouvoir pendant 18 ans. Il succédé à son “père” Laurent Kabila, assassiné en 2001 pour avoir osé demander aux troupes rwandaises de Paul Kagame sous le commandement de James Kabarebe de quitter la RDC. Kabarebe venait de l’aider kabila à renverser le maréchal Mobutu en 1977.

 

Depuis qu’il a quitté le pouvoir en 2019, Joseph Kabila s’était abstenu de faire des déclarations politiques publiques. Il  semblait même avoir renoncé à toute activité politique. Mais voilà que subitement, après la conquête du Nord et du Sud Kivu par les troupes de Paul Kagame sous l’étiquette du M23/AFC, le taiseux Joseph Kabila revient en force et accable son successeur qui serait plus répressif et tyrannique que lui-même du temps de son règne pourtant encore dans toutes les mémoires.

 

Joseph Kabila accuse son successeur Félix Tshisekedi d’avoir instauré un régime qu’il qualifie de « tyrannique ». Caractérisé par « les intimidations, arrestations arbitraires, exécutions sommaires et extrajudiciaires, la répression de l’opposition, la censure des médias ainsi que l’exil forcé de nombreux opposants, de journalistes et de leaders d’opinion, y compris des chefs religieux. ». On croit rêver!

 

Les défis du qui attendent le trio Kenyatta-Obasanjo-Desalegn

 

Les trois personnalités ont un défi de taille : instaurer le dialogue entre les belligérants et leur arracher  un probable cessez-le-feu.

 

Mais deux question se posent : qui garantira la mise en œuvre du cessez-le-feu sur le terrain ;  quelle force pour sécuriser l’Est de la RDC ?

 

Une remarque préliminaire aux réponses à ces deux questions : si les mêmes termes signifiaient la même chose en langage diplomatique qu’en langage militaire et opérationnel, dans ce cas précis, on ne devrait pas parler de “cessez-le-feu”.

 

En effet, il n’y a pas d’affrontements et donc pas d’échanges de coups de feu entre les troupes de Paul Kagame du M23 et les FARDC. Les premières progressent sans rencontrer de résistance tandis que les secondes se replient sans combats. Il faudrait donc que dans les échanges diplomatiques on exige aux troupes de Kagame du M23 de  ‘‘stopper leur offensive” pendant que le processus de cessation totale de la guerre est en cours.

 

A la question de savoir quelle force pour sécuriser l’Est de la RDC, le régime de Paul Kagame a déjà donné son exigeance  à travers son ministre des Affaires étrangères sous l’œil vigilant de son patron pour la région, le général James Kabarebe. Olivier Nduhungirehe a déclaré : « Il faut revenir à une force de stabilisation qui accompagne le cessez-le-feu et facilite le dialogue politique. Cela peut être la force de l’Afrique de l’Est qui avait obtenu un cessez-le-feu de six mois en 2023 ».

 

Ainsi Paul Kagame, tout en excluant la force de la SADC du processus, il exige que ce soit celle de l’EAC qui soit encore redéployée en RDC alors qu’elle fut justement expulsée de ce pays pour sa collaboration et alliance ouvertes avec l’agresseur qu’est le M23 de Paul Kagame. Retour à la case départ donc.

 

La réunion ministérielle du 28 février 2025 sera une étape clé pour déterminer si cette nouvelle médiation a une chance de réussir, ou si elle se heurtera aux mêmes blocages que les tentatives précédentes.

 

Constant désolant

 

Malgré l’apparent isolement  diplomatique progressif de Paul Kagame et des pressions qui se feraient de jour en jour sur lui dans cette guerre d’agression dont il est l’auteur, tant que l’agressé ne se défendra pas ou ne sera pas défendu, ce n’est pas la morale ou la logique qui bouteront les forces d’invasion hors de son territoire ni instaureront l’intégrité territoriale de la RDC.

 

Malheureusement, contrairement à l’Ukraine qui a l’Europe et l’Occident en général à travers l’OTAN pour la défendre contre la puissante Russie, la RDC n’a rien de pareil car ne pouvant elle-même pas se défendre contre le minuscule Rwanda de Paul Kagame.

 

Bien pire, tant que les FARDC ne pèseront pas sur la situation opérationnelle sur le terrain, la parole de ses diplomates ne pèsera  pas non plus dans les pourparlers visant à mettre fin à cette guerre, car gagnée d’avance par l’agresseur.

 

Tout en saluant l’action de la diplomatie de la RDC qui, en quelques mois, commence à faire bouger les lignes jusqu’à fissurer le mûr de protection qui assurait à Paul Kagame l’impunité pour tous ces crimes, chose impensable il y a quelques années, nous pensons que ses efforts resteront vains si les FARDC ne peuvent pas à leur tour faire les mêmes efforts militairement.

 

Et cela n’est pas sorcier ni impossible. Dans la situation actuelle, en manœuvres défensives, il suffit que les FARDC parviennent au moins une fois à défendre un objectif que viserait l’ennemi et lui monter qu’il ne peut pas toujours conquérir les objectifs qu’il vise en RDC. Par exemple en défendant à outrance cette fois-ci la ville d’Uvira au Sud Kivu, prochain objectif de Kagame avec ses M23/AFC.

 

En manouvres offensives, il suffit que les FARDC parviennent à libérer une zone ou une localité dont l’ennemi s’est emparée récemment. Par exemple à défaut de libérer toute la ville de Bukavu, reprendre le contrôle au moins de Kamanyola militairement et historiquement symbolique ou alors l’aéroport de Kavumu.

 

Ces seules actions des FARDC sur le terrain décupleraient le poids des arguments des diplomates sur la table des négociations. Le gouvernement peut s’en donner les moyens matériels et aux FARDC ne manquerait que la détermination et le moral. Comment les booster ? That is the Question!

 

Emmanuel Neretse

 

 

 

 

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