Analyse juridique structurée de l’article 76 tel que modifié par l’article 10 de la loi n° 058/2023 du 04/12/2023, portant sur les attributions du juge lors de l’audience sur la détention provisoire : cas de madame Victoire Umuhoza Ingabire
Contexte juridique
La modification de l’article 76 renforce les garanties judiciaires lors de la détention provisoire. Elle précise les attributions du juge chargé de statuer sur la légalité et la pertinence de cette mesure privative de liberté.
Attributions du juge lors de l’audience sur la détention provisoire.
L’article modifié énumère trois (entre autres) attributions principales:
1. VÉRIFICATION DE LA COMPÉTENCE DU JUGE (76(1)(A))
- Le juge doit s’assurer qu’il est juridiquement compétent pour examiner la plainte relative à la détention provisoire.
- Cela implique une vérification de la juridiction matérielle et territoriale, ainsi que du respect des règles de saisine.
A ce niveau, une situation cruciale peut mettre en tension le pouvoir judiciaire et le respect des droits fondamentaux. Lorsqu’un prévenu soulève une objection fondée sur la violation des garanties constitutionnelles, le juge est tenu d’y répondre avec rigueur et impartialité.
Devoir du juge
L’article 76 modifié impose au juge de :
- Vérifier si les droits du suspect ont été respectés au cours de l’enquête (alinéa b)
- Analyser les arguments contenus dans les conclusions des parties (alinéa g)
Cela signifie que le juge ne peut ignorer l’objection du prévenu. Il doit :
- Évaluer si la procédure a été régulière et conforme aux droits fondamentaux : dans le cas de Madame Victoire Umuhoza Ingabire, l’article 106 du code de procédure pénale qui a constitué le fondement de son arrestation, est une violation fragrante des principes constitutionnels qui garantissent la neutralité du juge et le déroulement des procès équitables.
Conséquences juridiques
Si le juge constate une violation des garanties constitutionnelles, il peut :
- Refuser la demande de détention provisoire
- Ordonner la mise en liberté immédiate du prévenu
- Demander des mesures correctives ou enquêtes complémentaires
- Annuler certains actes de procédure entachés d’irrégularité
Cela renforce le rôle du juge comme protecteur des libertés individuelles et contre-pouvoir face aux abus de procédure (cfr article 43 de la Constitution).
2. CONTRÔLE DU RESPECT DES DROITS DU SUSPECT (76(1)(B))
- Il vérifie également le respect des droits fondamentaux du suspect, tels que :
- Le droit à l’information
- Le droit à un avocat
- Le droit à ne pas être détenu arbitrairement
L’objection du prévenu fondée sur la violation des garanties constitutionnelles n’est pas une simple formalité : c’est un signal d’alerte que le juge doit traiter avec sérieux. Ignorer une telle objection reviendrait à fragiliser l’État de droit et à compromettre la légitimité de la justice pénale.
Quid de l’application du contrôle incident dans le droit judiciaire Rwandais
Le contrôle incident dans le droit judiciaire rwandais est une notion qui, bien qu’elle ne soit pas toujours explicitement définie dans les textes, peut être interprétée à partir des principes généraux du droit procédural.
Le contrôle incident désigne l’examen par une juridiction d’une question de légalité ou de constitutionnalité qui surgit au cours d’une procédure principale, sans que cette question soit l’objet direct du litige. Ce contrôle est accessoire à l’affaire principale, mais peut avoir un impact déterminant sur son issue.
Application dans le contexte rwandais
Dans le système judiciaire rwandais, le contrôle incident peut se manifester notamment :
1. Lorsqu’un juge examine la régularité d’un acte de procédure
Par exemple, dans une audience sur la détention provisoire (article 76 modifié), si le prévenu soulève une violation de ses droits constitutionnels, le juge doit vérifier la légalité de la procédure avant de statuer sur la demande principale.
2. Lorsqu’une partie conteste la conformité d’une loi ou d’un acte administratif
Le juge peut alors suspendre l’examen du fond pour se prononcer sur la validité de l’acte contesté, ou saisir une juridiction supérieure si nécessaire.
3. Dans les cas de conflit de compétence ou de nullité d’actes
Le juge peut effectuer un contrôle incident pour déterminer si l’autorité qui a pris une mesure (ex. mandat de détention, perquisition) était compétente ou si les droits procéduraux ont été respectés.
Portée juridique
Le contrôle incident est un outil de protection des droits fondamentaux. Il permet :
- D’éviter que des décisions soient rendues sur la base d’actes illégaux
- De garantir le respect de la Constitution et des lois
- De renforcer la légitimité des décisions judiciaires
Le contrôle de constitutionnalité dans la Constitution rwandaise : avant et après 2015
Avant la révision de 2015 : Article 141 de la Constitution de 2003
L’article 141 disposait que :
« Les juridictions n’appliquent les arrêtés ou règlements que pour autant qu’ils sont conformes à la Constitution et aux lois. »
Interprétation
Cette disposition conférait aux juges ordinaires (hors Cour Suprême) une forme de contrôle incident de constitutionnalité. Ils pouvaient refuser d’appliquer un acte réglementaire ou administratif s’il était manifestement contraire à la Constitution.
Après la révision constitutionnelle de 2015
La version révisée de la Constitution ne reprend pas explicitement cette disposition. Toutefois, l’article 3 affirme toujours la suprématie de la Constitution :
- « La Constitution est la loi suprême du pays. Toute loi, décision ou acte contraires à la présente Constitution sont sans effet. »
- La compétence explicite de contrôle de constitutionnalité est désormais réservée à la Cour Suprême, notamment pour les lois et règlements.
Peut-on dire que les juges Rwandais ordinaires sont déboutés de cette compétence ?
Oui, partiellement
La suppression de l’article 141 réduit la marge d’action des juges ordinaires en matière de contrôle de constitutionnalité. Ils ne peuvent plus refuser d’appliquer un texte réglementaire sur la seule base de leur propre appréciation constitutionnelle.
Mais pas totalement
Les juges conservent :
- Le pouvoir d’interprétation conforme : ils peuvent interpréter un texte de manière à éviter une violation constitutionnelle.
- Le devoir de signalement : en cas de doute sérieux, ils peuvent saisir la Cour Suprême ou suspendre l’application en attendant une décision.
La révision de 2015 centralise le contrôle de constitutionnalité au niveau de la Cour Suprême, mais n’annule pas totalement le rôle des juges ordinaires dans la protection des droits fondamentaux. Leur fonction reste essentielle dans le contrôle de légalité, l’interprétation conforme, et la vigilance constitutionnelle.
-
ANALYSE DES ARGUMENTS DES PARTIES (76(1)(G))
- Le juge prend en compte les conclusions écrites ou orales des parties (procureur, défense).
- Il doit analyser les motifs avancés pour ou contre la détention provisoire, y compris les garanties de représentation, les risques de fuite, ou les risques de trouble à l’ordre public.
Interprétation juridique
Cette disposition renforce le rôle du juge comme garant des libertés individuelles. Elle impose un contrôle rigoureux de la légalité de la détention provisoire, en conformité avec le principe de présomption d’innocence et le droit à un procès équitable.
Enjeux pratiques
- Prévention des abus de détention provisoire
- Renforcement de la transparence judiciaire
- Protection des droits des personnes mises en cause
Principe constitutionnel : la liberté comme règle
La Constitution rwandaise consacre la liberté de la personne comme un droit fondamental. En matière pénale, cela se traduit par la présomption d’innocence et le droit de ne pas être privé de liberté sans justification légale et proportionnée.
Ainsi, la détention provisoire est une mesure exceptionnelle, qui ne peut être ordonnée que dans des circonstances strictement encadrées par la loi.
Quand la détention devient une exception légitime selon l’article 76
L’article 76 modifié impose au juge de vérifier rigoureusement les conditions de la détention provisoire. Voici les circonstances où elle peut être justifiée :
1. Risque de fuite
- Si le suspect n’a pas de garanties de représentation (domicile fixe, emploi, attache familiale), le juge peut estimer qu’il risque de fuir la justice.
2. Risque de subornation de témoins ou d’entrave à l’enquête
- Si le suspect est susceptible de détruire des preuves, intimider des témoins, ou entraver le déroulement de l’enquête, la détention peut être ordonnée pour préserver l’intégrité du processus judiciaire.
3. Risque de récidive ou de trouble à l’ordre public
- Dans certains cas, la détention peut être justifiée pour protéger la société, notamment si l’infraction est grave ou si le suspect représente une menace immédiate.
4. Non-respect des obligations judiciaires
- Si le suspect ne respecte pas les convocations ou viole les conditions de liberté provisoire, la détention peut être envisagée comme mesure coercitive.
Conclusion juridique
La détention provisoire ne doit jamais être automatique ni punitive. Elle doit être :
- Nécessaire : il n’existe pas d’alternative moins restrictive
- Proportionnée : adaptée à la gravité de l’infraction et au comportement du suspect
- Motivée : fondée sur des éléments concrets et vérifiables
Le juge, selon l’article 76, joue un rôle de gardien des libertés : il doit s’assurer que la détention est l’ultime recours, et non une facilité administrative.
Lorsqu’un juge, saisi d’une demande de placement en détention provisoire, est confronté à une objection soulevée par le prévenu alléguant une violation de ses garanties constitutionnelles, il s’agit dans ce cas, d’ une situation cruciale qui met en tension le pouvoir judiciaire et le respect des droits fondamentaux. Lorsqu’un prévenu soulève une objection fondée sur la violation des garanties constitutionnelles, le juge est tenu d’y répondre avec rigueur et impartialité.
Analyse juridique de l’objection du prévenu
- Nature de l’objection
Le prévenu peut invoquer plusieurs types de violations :
- Absence d’accès à un avocat
- Non-information sur les charges retenues
- Traitement inhumain ou dégradant
- Détention arbitraire sans décision judiciaire motivée
Ces éléments relèvent directement des droits garantis par la Constitution rwandaise et par les instruments internationaux ratifiés par le Rwanda (ex. Pacte international relatif aux droits civils et politiques).
2. Devoir du juge selon l’article 76
L’article 76 modifié impose au juge de :
- Vérifier si les droits du suspect ont été respectés au cours de l’enquête (alinéa b)
- Analyser les arguments contenus dans les conclusions des parties (alinéa g) Cela signifie que le juge ne peut ignorer l’objection du prévenu. Il doit :
- Demander des explications aux autorités d’enquête
- Évaluer si la procédure a été régulière et conforme aux droits fondamentaux
3. Conséquences juridiques
Si le juge constate une violation des garanties constitutionnelles, il peut :
- Refuser la demande de détention provisoire
- Ordonner la mise en liberté immédiate du prévenu
- Demander des mesures correctives ou enquêtes complémentaires
- Annuler certains actes de procédure entachés d’irrégularité
Cela renforce le rôle du juge comme protecteur des libertés individuelles et contre-pouvoir face aux abus de procédure.
Conclusion
L’objection du prévenu fondée sur la violation des garanties constitutionnelles n’est pas une simple formalité : c’est un signal d’alerte que le juge doit traiter avec sérieux. Ignorer une telle objection reviendrait à fragiliser l’État de droit et à compromettre la légitimité de la justice pénale.
ARTICLE 106 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE RWANDAIS
Contexte
L’article 106 confère aux juridictions de jugement le pouvoir d’ordonner au procureur de poursuivre d’autres personnes soupçonnées d’avoir un lien avec une affaire en cours. Cela peut soulever des questions de constitutionnalité, notamment en matière de séparation des pouvoirs et de respect des droits de la défense.
Hypothèse : Saisine De La Cour Suprême Pour Inconstitutionnalité
Si une juridiction ordinaire applique l’article 106 et que cette application est contestée pour inconstitutionnalité, il est possible de saisir la Cour Suprême pour qu’elle examine la conformité de cette disposition à la Constitution.
Peut-on engager une procédure d’urgence pour libérer une personne détenue en attendant la décision de la Cour Suprême ?
En principe, oui, sous certaines conditions :
- Fondement juridique: La Constitution rwandaise garantit le droit à la liberté et à un recours effectif. Si la détention repose sur une disposition dont la constitutionnalité est contestée, il est possible de demander une libération provisoire en attendant la décision de la Cour Suprême.
- Procédure d’urgence (référé-liberté) : Bien que le Code de procédure pénale ne prévoit pas explicitement un mécanisme de « référé-liberté », le juge peut être saisi par voie d’incident procédural ou demande motivée fondée sur :
- La présomption d’inconstitutionnalité
- Le risque de détention arbitraire
- L’urgence liée à la privation de liberté
- Rôle du juge de la détention provisoire : Le juge peut décider de suspendre la détention ou de libérer provisoirement le prévenu, en attendant que la Cour Suprême se prononce sur la validité de l’article 106.
La saisine de la Cour Suprême pour inconstitutionnalité n’empêche pas une juridiction inférieure de examiner la légalité de la détention dans l’intervalle. Une demande de mise en liberté provisoire peut être introduite, notamment si la détention repose sur une disposition contestée et que les droits fondamentaux du prévenu sont en jeu.
VICTOIRE INGABIRE PEUT-ELLE INVOQUER L’INCONSTITUTIONNALITÉ DE LA PROCÉDURE DE SON ARRESTATION ET DÉTENTION ?
Oui, absolument.
Au vu des éléments rapportés dans les sources récentes, Mme Victoire Ingabire Umuhoza a été arrêtée dans un contexte où plusieurs droits fondamentaux semblent avoir été compromis :
- Risque de détention arbitraire
- Procédure expéditive sans transparence
- Accusations liées à des activités pacifiques (formation en ligne sur la non-violence)
- Antécédents de violations reconnues par la Cour africaine des droits de l’homme.
Elle peut donc saisir la Cour Suprême pour contester la constitutionnalité de l’article 106 du Code de procédure pénale, si cet article a été utilisé pour justifier son arrestation ou l’ouverture d’une enquête à son encontre sans garanties procédurales suffisantes.
PEUT-ELLE DEMANDER QUE SON JUGEMENT AU FOND SOIT SUSPENDU EN ATTENDANT LA DÉCISION DE LA COUR SUPRÊME ?
Oui, en principe
Le principe de sécurité juridique et de protection des droits fondamentaux permet à un prévenu de demander la suspension de la procédure au fond, si celle-ci repose sur une disposition dont la constitutionnalité est contestée. Cela évite que la personne soit jugée sur la base d’un texte potentiellement inconstitutionnel.
LA JURIDICTION AYANT ORDONNÉ L’ENQUÊTE PEUT-ELLE EXAMINER SA DEMANDE ( référé-liberté) DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE ?
Non, idéalement non
Pour garantir l’impartialité et l’indépendance du juge, la demande de mise en liberté provisoire devrait être examinée par une juridiction distincte de celle qui a ordonné l’enquête. Cela évite tout conflit d’intérêt ou partialité dans l’appréciation des faits.
En pratique, cela signifie que le juge de la détention provisoire doit être autonome par rapport au juge d’instruction ou au juge ayant ordonné l’enquête.
Dans une situation comme celle-ci, si la Cour Suprême est saisi pour examen d’inconstitutionnalité, c’est la même Cour Suprême qui peut statuer sur la procédure d’urgence ayant objectif de décider sur la suspension de détention en attendant que la décision sur l’inconstitutionnalité soit rendue.
La Cour Suprême Du Rwanda Peut-Elle Statuer Sur Une Procédure D’urgence Liée À Une Détention Contestée Pour Inconstitutionnalité ?
Oui, en principe et en pratique.
Selon les informations issues de la jurisprudence et des textes relatifs à la Cour Suprême du Rwanda:
- La Cour Suprême est compétente pour examiner les requêtes en inconstitutionnalité, notamment celles qui concernent des lois ou des dispositions légales qui portent atteinte aux droits fondamentaux.
- Elle peut également statuer sur des mesures provisoires ou urgentes, notamment la suspension d’une détention ou la mise en liberté provisoire, si la détention repose sur une disposition contestée pour inconstitutionnalité.
La Cour Suprême du Rwanda peut être saisie en procédure d’urgence pour demander la suspension de la détention d’une personne, en attendant qu’elle se prononce sur la constitutionnalité de la disposition légale ayant servi de base à cette détention (comme l’article 106 du Code de procédure pénale).
Cela garantit :
- Le respect du droit à un recours effectif
- La protection contre la détention arbitraire
- La primauté de la Constitution dans l’ordre juridique rwandais
Conclusion
Mme Victoire Ingabire a des fondements solides pour :
- Contester la constitutionnalité de la procédure engagée contre elle
- Demander la suspension du jugement au fond
- Exiger que sa demande de mise en liberté provisoire soit examinée par une juridiction indépendante
Me Akayezu Valentin
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