France/Rwanda : Mme Habyarimana Agathe, victime de la realpolitik?

Juvénal Habyarimana et son épouse Agathe Kanziga
Juvénal Habyarimana et son épouse Agathe Kanziga

Juvénal Habyarimana et son épouse Agathe Kanziga/photo Romain Baertsoen

Agathe Kanziga, le veuve de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana, s’est vue notifier, le 4 mai, par la préfecture de l’Essonne et le ministère de l’Intérieur, un refus de séjour en France.

Elle doit comparaître le 29 juin devant la cour d’appel de Paris qui statuera sur la demande d’extradition du Rwanda. Son avocat Me Philippe Meilhac est d’avis que cette décision relève, d’une « volonté politique de la France, compte tenu du rapprochement récent avec le Rwanda, de ne pas froisser ce nouvel allié« .

Cette mesure contre Mme Habyarimana coule depuis janvier 2007 quand l’ Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) puis la Commission de recours des réfugiés (CRR) lui ont refusé le statut de réfugié politique, décision confirmée par le Conseil d’Etat qui ne se prononce pas sur le fond mais sur la forme.

Le texte de refus de statut de réfugié rédigé par l’OFPRA puis repris en grande ligne par la CRR est on ne peut plus discutable.

La commission de recours des réfugiés (CRR), tout comme l’OFPRA, reconnaît qu’Agathe Kanziga ne peut pas retourner dans son pays sans risquer sa vie. La raison en est que les autorités actuelles de Kigali sont impliquées dans l’assassinat de son mari. Mais la CRR tout comme l’OFPRA a rejeté sa demande de statut de réfugiée parce que, d’après elle et l’OFPRA, il existerait des raisons sérieuses de penser qu’elle s’est rendue coupable d’un crime de génocide au sens de l’article 1er F a, de la convention de Genève.

Or les allégations avancées contre elles ne reposent sur aucun fait réel ni sur aucun témoignage crédible et vérifiable.

Avant d’examiner ces accusations, il importe de faire une mise au point  sur certaines déclarations qui lui sont prêtées par la CRR. Contrairement à l’affirmation de la commission de recours des réfugiés, elle n’a pas nié l’existence des massacres perpétrés par les « extrémistes hutus ». La preuve est que la commission se contredit elle-même puisqu’elle admet qu’elle a déclaré que « bien qu’il y ait eu le génocide de tutsi en 1994, il y a eu également le massacre de hutus dont personne ne parle ».

Quant à sa déclaration relative à l’inexistence de toute tension ethnique au Rwanda avant le déclenchement de la guerre par le FPR, elle a raison car le Rwanda n’a connu aucun conflit interethnique entre 1973 et 1990. Pendant cette période, aucun tutsi n’a fui le pays. Au contraire, certains sont rentrés, d’autres préféraient rendre régulièrement visite à leurs familles et retourner dans leur pays de résidence. Le professeur André. Guichaoua, dans son audition devant la commission parlementaire française, le 31 mars 1998, est d’avis que «  l’ethnisme  n’était pas un élément structurant de la vie politique » et « pendant les années 1980, la tension ethnique, (s’était) considérablement abaissée ». Enfin, la solution du problème de retour des réfugiés était sur le point d’aboutir. D’après A. Guichaoua, le FPR a déclenché la guerre en octobre 1990 pour la bloquer. Il est dès lors abusif de parler d’exclusion et d’apartheid sous le régime Habyarimana.

Une analyse objective qui s’appuie sur des données chiffrées comparatives entre les quatre régimes qu’a connus le Rwanda jusqu’à ce jour démontrerait que la politique d’équilibre ethnique et régional prônée par le Président Habyarimana ne visait nullement l’exclusion des Tutsi et des gens originaires du sud car, comme le souligne A. Guichaoua, « ce système (de quotas) garantit un certain nombre de places et de postes aux membres identifiés des ethnies tutsie et hutue. Il est considéré par le Président Habyarimana comme une reconnaissance des droits de la minorité et un instrument d’ancrage définitif de la démocratie, fondé objectivement sur des indices de disparités ethniques et régionales. Les quotas permettent de répartir les postes dans la sphère publique ou les places dans les écoles et les séminaires en fonction des appartenances ethniques et du pourcentage respectif de chacune des ethnies dans la population … Ce traitement de la question ethnique a été considéré par toutes les ambassades et les missions de coopération comme satisfaisant.

Dans tous les cas, force est de constater que le régime Habyarimana était moins discriminatoire que les régimes Tutsi. Certes les Hutu étaient majoritaires dans tous les secteurs mais cela s’expliquait par leur proportion dans la population. Les Hutu représentent plus de 80% de la population. Cette loi joue dans tous les pays, ce qui est en fait de compte normal si l’on admet qu’aucun groupe ethnique n’est plus intelligent qu’un autre.

Ce qui est anormal, c’est la situation actuelle où moins de 15% de la population se sont attribué 80% des postes ».

Mme A. Kanziga n’a donc jamais voulu dissimuler la situation réelle du pays. La vérité est que c’est la guerre, initiée par le FPR, qui a ravivé les anciennes rancoeurs qui s’étaient fortement atténuées et qui a conduit au drame de 1994.

Passons en revue  certaines des allégations qui auraient décidé la commission des recours des réfugiés et l’OFPRA à suspecter Madame Habyarimana Agathe d’être coupable de crimes contre l’humanité.

1. L’autorité de fait.

Les experts cités par la CRR prétendent qu’Agathe Kanziga exerçait un rôle prépondérant dans la structure politique, administrative et militaire de la 2ème République. Pourtant ils avouent tous ne pas disposer d’assez d’éléments factuels pour étayer cette affirmation.

Ainsi, la journaliste Louis de Vulpien reconnaît ne disposer d’aucune preuve de l’autorité de fait qu’elle lui attribue. Elle exprime ses contradictions en ces termes : « … je ne peux vous donner que mon sentiment car peu d’éléments factuels sont disponibles pour attester du rôle d’Agathe Kanziga dans l’ancien régime. Toutefois Agathe Kanziga appartenait au clan des extrémistes hutu et (… ) constituait, dit-on, le pilier de l’Akazu. »

L’historienne Alison Des Forges n’a pas trouvé non plus de preuves, ce qui ne l’empêche pas, comme la journaliste Louis de Vulpien, de considérer qu’elle était investie d’un pouvoir certain. Elle dit : « …à ma connaissance, Madame Agathe Kanziga ne détenait aucun rôle officiel… mais son rôle dans l’ancien Régime est indéniable. Rares, pourtant, sont les preuves factuelles de son implication

L’historien rwandais Marcel Kabanda, lui, croit avoir découvert une preuve dans la culture rwandaise. Voici sa théorie : « Agathe Kanziga n’a pas de place officielle, à l’exception de l’orphelinat qu’elle dirigeait. Il est rare d’ailleurs qu’elle intervienne sur la place publique. En fait, elle joue le rôle d’une épouse rwandaise, effacée en façade, mais active en arrière-plan. Elle détient son pouvoir par l’entremise de ses frères, par un trafic d’influence ».  Selon cette logique, l’épouse du président Paul Kagame, une rwandaise, devra répondre de tous les actes de son mari et des personnes apparentées puisque c’est elle qui dirigerait, en sous-main, la 3ème République. A trop vouloir justifier de fausses allégations, on finit par imaginer des explications ridicules.

Enfin, Monsieur André Guichaoua dit que « …s’agissant de son influence, l’on se trouve dans une stratégie de soupçons puisque rares sont les éléments factuels permettant de le prouver ». En dépit de ce manque de preuves, il conclut que « …toutefois, on ne peut imaginer que les membres de sa famille soient devenus les notoriétés que l’on connaît sans l’influence prépondérante d’Agathe Kanziga ».

Pourquoi son frère, ses cousins ou toute autre personne apparentée par le mariage ou par le sang n’aurait-elle pas réussi sans son  aide ? Lorsqu’ un enfant d’un président, d’un ministre réussit en Europe, personne n’imagine qu’il le doit à ses parents. Il y a d’autres individus de même formation ou de même expérience auxquels elle n’était pas liée, qui ont réussi dans leur carrière ou en affaires.

2. La proximité avec l’AKAZU.

André Guichaoua argue que « l’élément le plus déterminant  quant à son influence réside dans la composition du noyau qui a pris en main le génocide, la direction effective des opérations à partir du 07 avril 1994 ».

Cette assertion n’a aucun fondement. Tout d’abord, à supposer même que toutes les personnes citées lui soient proches et qu’elles aient commis des crimes dont elles sont accusées. Cela ne signifie pas qu’elle est également coupable. La responsabilité pénale est individuelle et l’existence des liens familiaux ou autres n’implique pas une responsabilité de commandement.

Ensuite l’akazu est un concept inventé par l’opposition politique intérieure, pour déstabiliser les personnalités adhérentes au MRND, le parti présidentiel. Il ne correspond pas à des associations de malfaiteurs comme le propagent certains auteurs. Protais Zigiranyirazo, frère d’Agathe Kanziga, arrêté par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) sur base de cette « fumeuse » organisation qu’est l’Akazu, a été acquitté.

3. L’influence de l’école sociale de Karubanda.

D’après A. Guichaoua, la plupart des grandes femmes de l’ancien régime étaient passées par cette école où avait étudié Mme Kanziga Agathe. Cette affirmation est gratuite. De quelles grandes femmes parle-t-il ? Sous la présidence de Habyarimana, il y avait très peu  de femmes dans la hiérarchie politique et administrative. Aucune femme n’a été nommée à un poste de ministre ou de préfet avant la mise en place, le 16 avril 1992, d’un gouvernement multipartite. Les rares femmes qui ont occupé un poste de responsabilité sous le régime du parti unique sont Mme Nyirasafari Gaudence (Saint-Esprit), membre du comité central et directrice de l’Office Nationale de la Population (ONAPO), Mme Nyirabizeyimana Immaculée, Vice-présidente du parlement, Mme Louise Bakundukize, présidente de l’Union des femmes  et douze députées originaires de diverses régions du pays. Les trois premières femmes sont universitaires et reconnues pour leur intelligence et leur compétence. Pourquoi se focaliser sur leur école secondaire plutôt que sur l’université où elles ont effectué leurs études supérieures ? Et puis, même si elles avaient toutes fréquenté cette école et à la même époque, ce qui n’est pas le cas,  en quoi serait-ce criminel ?

Le fait que Mme Pauline Nyiramasuhuko ait suivi ses études secondaires à Karubanda n’est pas un élément pertinent par rapport à l’accusation de génocide qui est portée contre Mme Kanziga.

Par ailleurs, Mme Nyiramasuhuko est un adulte, sein d’esprit, donc responsable de ses actes. A supposer même qu’elle ait commis les crimes dont elle est suspectée, pourquoi Mme A. Kanziga serait-elle concernée ?

4. La réunion sur les massacres des Bagogwe en 1991

La commission internationale d’enquête sur les violations des droits de l’homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990 écrit dans son rapport de mars 1993 que le journaliste Janvier Africa a participé à des « réunions pour organiser les massacres »  notamment à celles du « groupe connu sous le nom de l’escadron de la mort. »

D’après ce témoin,  « la réunion qui a préparé les massacres des Bagogwe était présidée par le Président Habyarimana lui-même, son épouse étant aussi présente, ainsi que le Colonel Sagatwa et son épouse et un sorcier amené par Sagatwa. » Le statut social  de cet individu, des faits et l’absence de précision sur la date et le lieu de la tenue de la réunion montrent que ce témoin n’est pas crédible.

M. Africa est un ancien bagagiste et informateur converti au journalisme. Il n’a jamais travaillé pour la Présidence. En 1994, il a été exfiltré de la prison et a rejoint le FPR. Mme Kanziga ne l’a jamais rencontré. Il aurait fallu organiser une confrontation avec Mme Kanziga afin qu’il lui présente les « preuves tangibles » qu’il aurait montrées à la commission d’enquête susmentionnée. Mais ce n’est plus nécessaire puisqu’il s’est déjà rétracté. C’était une histoire inventée de toutes pièces à l’instigation du FPR. Plusieurs éléments auraient incité les soi-disant experts à douter de ce témoignage. Encore fallait-il prendre la peine de les vérifier.

5. La présence à l’ambassade de France après le 06/04/1994

La journaliste Laure de Vulpien assure, en parlant de  Mme A. Kanziga, que « …l’on sait qu’elle s’est réfugiée, à une date qui (lui) est  inconnue,  à l’Ambassade de France, lieu où se constituera, quelques jours plus tard, le gouvernement intérimaire. » Cette assertion est totalement fausse. Agathe Kanziga n’a jamais mis les pieds à l’Ambassade de France à Kigali après le 06/04/1994. Si la journaliste  avait consulté la liste des personnes qui s’y sont réfugiées après cette date ou si elle s’était donné la peine de s’informer auprès des autorités françaises, elle aurait appris que son témoin lui avait  menti. Le fait qu’elle avoue ignorer la date de son passage à l’ambassade est la preuve de son manque de sérieux. Mme Kanziga n’était présente au Rwanda qu’entre le 06 et le 09 avril 1994. Etait-ce difficile de savoir à quelle date elle avait été à l’ambassade si réellement elle s’y était réfugiée ?

6. Le financement des médias RTLM et Kangura.

L’organisation « Reporters sans frontières » précise que l’argent de la RTLM « …provient en partie de la famille de l’épouse du Président Habyarimana, Madame Agathe Kanziga… »

Lors du procès de M. Ferdinand Nahimana devant le TPIR, un témoin a indiqué, sous couvert d’anonymat, que la femme du Président figurait parmi les actionnaires de la RTLM.

Dans l’ouvrage « Rwanda : les médias du génocide », les auteurs évoquent à plusieurs reprises le rôle de Madame Agathe Kanziga dans le lancement et le contrôle du journal extrémiste Kangura. Pour sa part, Marcel Kabanda avance qu’il « semblerait avéré » qu’elle contribuait financièrement au journal extrémiste Kangura.

Cette accusation n’a aucun fondement. Madame Kanziga n’a pas participé au financement de la RTLM. La liste des actionnaires a été publiée et elle n’y figure pas. Elle est une personne distincte des membres de sa famille. Elle n’a pas contribué non plus au financement du journal Kangura. Aucun chercheur ne peut apporter la preuve de sa participation aux réunions éventuelles de Kangura ou de versement d’argent sur son compte. Toutes ces allégations proviennent des autorités de Kigali et ont été reprises sans aucune vérification par les experts soit par paresse intellectuelle soit par parti pris.

Il va de soi que ceux qui ont prononcé des propos incitatifs à la haine – encore faut-il bien circonscrire cette notion – doivent en répondre quel que soit le média où ils les ont tenus.

7. Elle ne s’est pas désolidarisée du gouvernement Habyarimana et du gouvernement intérimaire

Agathe Kanziga n’avait pas à se solidariser ou à se désolidariser d’un gouvernement dont elle ne faisait pas partie. Après la 2ème guerre mondiale, a-t-on demandé aux citoyens français ou à Madame Pétain s’ils s’étaient désolidarisés du gouvernement de Vichy? Par ailleurs, depuis le 16 avril 1992, il n’existait plus de gouvernement  Habyarimana. A cette date, un gouvernement multipartite, dirigé par un premier ministre de l’opposition,  avait été mis en place. Il s’agissait d’une cohabitation où les pouvoirs du président avaient été fortement réduits. Quant au gouvernement intérimaire, il a été mis en place le 9 avril, jour de son évacuation du pays.

8. Son inscription sur la liste des suspects du génocide établie par les autorités actuelles du Rwanda.

Les autorités de Kigali l’ont inscrite sur la liste des suspects du génocide parce qu’elles voulaient l’intimider, la discréditer et la réduire au silence. L’on peut se demander pourquoi le FPR a répandu cette accusation infâme alors qu’il savait que c’était lui qui avait assassiné son mari. En effet,  les deux enquêtes sur cet attentat, celle de Michaël Hourigan et des juges français et espagnols, les témoignages de plusieurs dissidents du FPR désignent le président Paul Kagame comme le commanditaire de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana.

Conclusion.

Compte tenu du manque d’éléments factuels suffisants pour prouver l’autorité de fait qui lui est prêtée par la commission des recours des réfugiés, des témoignages faux, peu crédibles ou invérifiables (certains témoins étant décédés) relatifs à sa présence à l’imaginaire réunion sur le massacre des Bagogwe, au financement de la RTLM et de Kangura, à l’établissement, la nuit du 6 avril 1994,  des listes des personnes à tuer et eu égard à l’impertinence et à la fausseté d’autres accusations, aux contradictions des soi-disant experts sur la planification des massacres des Tutsi, et au caractère plutôt  propagandiste et partisan des  travaux des auteurs cités par la commission des recours des réfugiés, il est difficile de comprendre en quoi consistent les raisons sérieuses au sens de l’article 1 Fa, de la convention de Genève, qui justifieraient  de  refuser le statut de réfugié voire le titre de séjour à Agathe Kanziga .

GHISLAIN MIKENO
EdA Press

 

 

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