Les paradoxes culturels : virginité et défloration rituelle en Afrique
Dans bon nombre de pays africains, avant le mariage et sa consommation, il y avait des préalables à accomplir selon la coutume. L’un d’eux consistait, du côté de la fille, en l’éducation aux valeurs sexuelles traditionnelles dont la virginité[1]. Celle-ci faisait partie des valeurs que l’éducation familiale inculquait aux filles pour leur futur mariage. Elles y étaient formées dès l’enfance. Ce rôle était dévolu principalement à la mère.
Au Rwanda et dans ses pays voisins, la coutume voulait que la fille soit vierge au mariage. De cette façon, elle était considérée comme ayant conservé sa pureté et toute sa beauté sexuelle intégrale. L’homme n’en sera que plus content, en sachant qu’il est le premier à découvrir et à déflorer cette intimité que l’on avait couverte de secret pendant une si longue période. Si la virginité était exigée de la fille, c’est « pour qu’elle n’ait pas à comparer les pénis ». Il fallait que le premier à lui faire l’amour soit son mari pour lui marquer un sceau primal.
Alors que la virginité était exigée pour les filles avant le mariage, la coutume tolérait et même encourageait indirectement les garçons à s’exercer à faire l’amour avant de prendre femme. Si la même chose n’était pas permise du côté des filles, cela était dû à ce que la philosophie rwandaise considérait que : « Dans un champ où la chèvre avait brouté les herbes verdoyantes, elle y retournait souvent ». La logique était que si une fille (ou une femme) cède aux avances d’un homme une fois, elle ne pouvait plus lui dire non les fois suivantes. L’exigence de la virginité au mariage était une prévention de l’adultère, la formation d’« une femme de caractère » par rapport à « une femme facile » et volage.
Dans certaines tribus noires africaines, la perte de la virginité était synonyme d’infamie, signe que cela a pu arriver lors de la débauche et autres attitudes de dévergondage. Certaines filles étaient obligées de recourir à la folie pour échapper à la vindicte populaire.
Paradoxe des cultures, dans certaines régions africaines, la virginité d’une jeune fille au mariage est plutôt impensable. Car une fille doit d’abord prouver qu’elle est féconde avant de se marier. Parfois même, des mariages à l’essai ou des initiations à l’acte sexuel sont autorisées par la coutume. C’est le cas de certaines tribus de l’Afrique de l’Ouest notamment au Cameroun. On y trouve un nombre relativement élevé de filles célibataires. La raison est qu’elles doivent d’abord prouver qu’elles sont fécondes avant de prétendre aller se marier.
Pour certaines tribus au sein desquelles la virginité est de mise, le jeune marié, qui constate la virginité de sa femme la première nuit de noces, envoie des cadeaux à sa belle-mère pour la remercier de la bonne éducation donnée à la fille. Cette pratique est courante chez les Yorubas, les Foulans, les Mboundous ou les Haoussa, groupes ethniques présents au Nigeria, au Bénin, au Ghana, au Togo et au Gabon. La preuve de la virginité est constatée des fois par la présence du sang sur un linge qui est alors envoyé par le jeune homme à la belle-mère ou le montre à ses amis, qui certaines fois sont aux aguets autour de la case nuptiale pour la primeur de l’information.
Au Sénégal, chez les Lebous, la virginité est une des exigences au mariage. D’ailleurs, pour marquer cette importance, les filles connues comme des dévergondées, qui couchent avec tout venant, sont moins chères quand il s’agit de la dot. Les filles vierges ont la côte mais également elles font l’honneur de la famille, surtout à la mère, la première à être aussi stigmatisée pour avoir donné une mauvaise éducation à sa fille si celle-ci est de cuisse légère.
Toujours dans ce pays, dans certaines tribus, une jeune fille qui se marie doit se soumettre au test de virginité. C’est le labane. Le test est concluant après la première nuit de noces. Dans l’affirmative, une semaine de festivités est organisée pour célébrer la bonne tenue, la chasteté de la mariée. Mais aussi pour lui redonner l’énergie, la force, qu’elle est supposée avoir perdue lors de cette première expérience sexuelle.
La subtilité du labane est que, quelquefois, il est fait recours à un poulet égorgé sur le linge ayant accueilli les ébats du couple. Le linge sali par le sang issu de la défloration de la jeune fille est exhibé en signe de probité et lavé durant les festivités. Par ailleurs le terme « lab » signifie propre en langue wolof.
D’autres tribus adeptes de la chasteté avant le mariage procédaient à l’infibulation du vagin de la jeune fille, en suturant ou en passant un anneau à travers les petites lèvres de la vulve pour empêche les relations sexuelles et ainsi préserver son hymen. Elles ont ainsi également l’assurance que l’honneur de la famille sera sauvegardée car la fille ne sera pas mise à l’index pour sa mauvaise conduite.
Comme au Rwanda ancien, la fille non vierge était malmenée dans certaines contrées. Chez les Ovimbundus de l’Angola, elle était renvoyée chez son père, habillée d’une jupe trouée en signe de mécontentement. Le père devait alors restituer la dot. Des fois la fille était passée au tabac jusqu’à ce qu’elle révèle l’identité de celui qui l’avait déflorée pour qu’il paye alors les dommages. C’est le cas chez les Abrons du Ghana et de la Côte d’ivoire.
Pour éviter de tels désagréments, la virginité de la fille était inspectée avant le mariage. Chez les Nyamwezi, un des principaux groupes ethniques du Nord-Ouest de la Tanzanie, c’est l’affaire de la tante maternelle ou de la grand-mère. Chez les Kanuri du Nord Est du Nigeria, du Sud Est du Niger, de l’Ouest du Tchad et du Nord du Cameroun, c’est le père qui, pour prévenir toute restitution de dot et autres amendes, procédait à la vérification de la virginité de sa fille.
Dans certaines tribus du Ghana dont les Krombos, il est pratiqué ce qu’on appelle le dipo ou le « Bragoro » chez les Akans. C’est un rite traditionnel pour marquer le passage de l’enfance à l’âge adulte pour les jeunes filles. Il a lieu une fois par an et met en avant l’observance de la virginité pour les jeunes filles. Les filles ayant eu leurs premières menstruations sont récluses pendant des jours, la période variant d’une à trois semaines selon les ethnies. La prêtresse commence par vérifier si les filles présentes sont toutes encore vierges pour être éligibles à l’initiation. Celle qui est déjà déflorée est renvoyée honteusement et ses parents deviennent la risée du village. Les élues sont peintes en blanc avec de la chaux pour montrer leur virginité
Chez les Bakongo de la RD-Congo, l’état virginal d’une fille est une exigence avant le mariage. Ainsi l’a décrété Mbumba, le fétiche de la fécondité. Il considère que la fille doit arriver au mariage sans rien connaître du sexe.
A l’instar d’une terre vierge qui attend la semence, la fille doit elle aussi se présenter au mariage dans cet état, prête à être fécondée par son époux. Et c’est en ce moment qu’elle perd sa virginité et acquiert les attributs de la maternité.
Avant de se marier, la fille Bakongo doit passer l’épreuve de la virginité. Si elle l’échoue, autrement dit si elle n’est plus vierge, elle doit subir, lui et son amant, des sanctions prévues par la coutume, dont celle consistant à les humilier sur la place publique, une sorte de traitement de purification et d’expiation de leurs forfaits[2].
Cette exigence de la virginité chez certains peuples d’Afrique explique la pratique de l’infibulation sur de petites filles entre 3 et 6 ans.
Cependant, traditionnellement, certaines tribus n’exigeaient pas la virginité à la fille lors de son mariage. Ainsi, chez les Mongo de la République Démocratique du Congo, les filles peuvent avoir librement des relations sexuelles. Dans leur philosophie de la vie, les Mongo considèrent que les relations sexuelles avant le mariage sont nécessaires pour se préparer à la vie du couple. Cette période est longue et jalonnée de relations sexuelles intenses et régulières qu’il faut s’y préparer. De ce fait, le futur mari ne sera pas déçu car il aura affaire à une vraie initiée.
Chez les Tetela, les Baboa ou les Muyombe, les filles ne sont pas non plus tenues d’arriver vierges au mariage.
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Face à cette exigence de la virginité avant le mariage pour les jeunes filles, il existait dans certaines coutumes africaines, une mentalité comme quoi une fille vierge n’était pas mariable. Une sorte de défloration (faire perdre la virginité d’une fille) rituelle était même organisée dans des séances d’initiation sexuelle ou pratiquée par des officiantes.
En Afrique, certaines sources parlent aujourd’hui de la « défloration aux enchères ». En quête de gains pécuniaires, le jeune époux met la défloration de sa femme aux enchères. Après une sorte d’adjudication, le gagnant du marché est enfermé dans une case avec la jeune femme et le mari attend à la porte jusqu’à la fin de l’acte sexuel de défloration.
Chez les Lenge de la République Démocratique du Congo (RDC) la fille pubère, après une danse rituelle dans la nudité totale et au cours de laquelle elle mimait les relations sexuelles, était déflorée à l’aide d’une corne sacrée ou d’un bourgeon de la taille d’un épi de maïs ou de banane pour élargir l’orifice vaginal suivie d’une copulation rituelle.
Dans le sud du Malawi, un homme surnommé « hyène », est recruté secrètement par la famille pour déflorer la fille dès qu’elle atteint l’âge de la puberté et qu’elle a ses premières règles. Elle doit passer la nuit avec cet homme, une sorte de viol pour marquer son passage à l’âge adulte.
L’hyène se fait payer pour ses prestations d’avoir initié la jeune fille à la sexualité. Malgré son interdiction, cette pratique perdure jusqu’aujourd’hui, les traditions locales primant sur la loi. Des ONG se sont lancées dans un combat contre cette coutume par la sensibilisation en vue d’un changement de mentalités.
Chez les Gusii, une société du sud du Kenya décrite par les anthropologues en 1959, les rapports sexuels hétérosexuels doivent être douloureux. Ils sont considérés comme un acte pendant lequel l’homme doit braver la résistance de la femme et lui faire mal. Le lendemain de la nuit de noce, l’homme est félicité par ses amis quand il a réussi l’exploit de faire pleurer son épouse lors du premier rapport sexuel. Quand la mariée ne peut plus marcher du fait de la douleur provoquée par l’acte sexuel, le jeune homme est alors considéré comme « un vrai homme ». Sinon, il est raillé par les femmes plus âgées car il n’a pas réussi à faire mal à sa femme. Elles lui disent qu’il n’est pas viril et qu’il a un petit pénis.
Chez les Bashi, une tribu de la province du Kivu, dans la RD-Congo (ex-Zaïre), par exemple, une fille vierge n’était pas mariable. Il était pratiqué le kulaza, « sorte d’école de la vie conjugale ». Avant de se marier, chaque fille devait se choisir librement un partenaire avec lequel elle vivait pendant quelque temps pour que tous les deux s’initient à la vie conjugale, sans aucun engagement de leur part.
D’autres peuples autorisent des rapports sexuels sans limite avant le mariage, la fidélité étant rigoureusement exigée aux deux partenaires une fois mariés. C’est le cas chez les Dagomba, les Maprusi, les Ashanti et les Birifor du Ghana, les Bobos du Burkina Faso, les Senufo de la Côte d’Ivoire et du Mali, chez bon nombre de tribus des territoires du bassin des fleuves Sénégal et Gambie, les Xhosa et les Zoulous d’Afrique australe.
Chez les Kikuyu du Kenya, les activités sexuelles étaient permises avant le mariage, mais elles étaient faites de façon incomplète. Elles se limitaient en effet en une étreinte au lit, la fille étant dénudée uniquement en haut. Elle frottait érotiquement ses seins sur la poitrine du garçon avec accompagnement de caresses mutuelles, les jambes croisées, jusque quelques fois à la jouissance. C’est le ngweko qui signifie littéralement « caresser ». La cérémonie avait lieu dans ce qui est appelé la case des jeunes gens que les jeunes filles devaient fréquenter pour la circonstance et s’y choisissaient des partenaires.
Rite traditionnel exécuté par les femmes beti (Cameroun)[3], le « ngas » servait à l’expiation d’une faute commise par l’une d’elles. La cheftaine organisait une expédition qui conduisait la fautive dans la forêt tout près d’un cours d’eau. Arrivées sur les lieux, toutes les femmes se déshabillaient, et la pécheresse, couchée sur le sol, confessait son forfait. La célébrante lui infligeait alors la punition en lui mettant une fourmi dans le vagin pour qu’elle pique le clitoris. Le Ngas était une occasion d’initier les jeunes filles qui prenaient part au cortège. Elles dansaient autour de la femme couchée et devaient partager sa souffrance. Pour ce faire, la femme officiante faisait asseoir les candidates, les yeux bandés, dans une flaque d’eau dans laquelle elle avait mis préalablement du piment, des écorces et des herbes urticantes. Durant le rituel du Ngas, aucun homme n’était admis. Si un téméraire se hasardait à venir rôder autour du lieu de la cérémonie, il était mis à mort. Le secret était gardé par les participantes qui rentraient au village avec des cris de joie et organisaient la fête après avoir eu l’assurance de la réussite du Ngas qui supposait, après des vérifications mystiques, que la fautive avait tout avoué.
Le constat actuel est que virginité ne rime pas avec modernité. En effet, dans bon nombre de pays africains, la virginité est mise à mal avec l’évolution de la société qui fait tomber pas mal de tabous. Durant les années 1980 est apparu, dans des milieux extra-coutumiers, le phénomène de « donner l’avance ». Soit avant les fiançailles soit durant celles-ci, la fille devait coucher avec le garçon pour qu’elle présente les qualités de son produit.
Dans des milieux urbains en Afrique sub-saharienne, il existe le phénomène de « sugar daddy ». Le terme « sugar daddy » est un mot anglais signifiant littéralement « papa-sucre ». En d’autres mots, c’est un homme riche qui attire de jeunes adolescentes par ses largesses en argent pour payer des frais scolaires, des produits de beauté, des cadeaux dont des téléphones portables et des vêtements, … en échange des faveurs sexuelles. Même là où elle est rigoureusement exigée, la virginité ne peut pas résister au phénomène de « sugar daddy » car celui-ci déploie de grands moyens.
A ce phénomène s’ajoute le système de copinage en vogue dans les capitales africaines. Une jeune fille qui se respecte doit avoir un copain, avec qui elle sort pour danser, pour aller au restaurant et en fin de compte, avec qui elle fait l’amour.
Les jeunes qui se marient actuellement ne sont pas non plus trop regardants car ils savent qu’avant de se marier, la fille comme le garçon, se sont amusés et ont goûté aux plaisirs charnels.
Gaspard Musabyimana
Notes
[1] – Stanislas Bushayija, Le mariage coutumier au Rwanda, Namur, Pontificia Universitas Gregoriana, 1966.
– Ndoye Omar (sous la direction de), Le sexe qui rend fou. Approche clinique et thérapeutique, Paris, Présence Africaine, 2003.
[1] Emmanuel Vangu Vangu, Sexualité, initiations et étapes du mariage en Afrique, Paris, Publibook, 2012, p. 191.
[1] Philippe Laburthe-Tolra, Initiations et sociétés secrètes au Cameroun. Le mystère de la nuit, Paris, Editions Karthala, 1985.
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