Le rocher de Kigali : quand la RDC revit le supplice de Sisyphe
Le mythe de Sisyphe: origine et signification
Dans la mythologie grecque, Sisyphe est le fondateur mythique de Corinthe, une ville portuaire en Grèce actuelle fondée plusieurs siècles avant Jésus Christ. Sisyphe est surtout connu pour son châtiment, consistant à pousser une pierre au sommet d’une montagne, d’où elle finit toujours par retomber.
Pour avoir osé défier les dieux, Sisyphe fut en effet condamné, à faire rouler éternellement jusqu’en haut d’une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet.
Bien évidemment c’est de la mythologie mais qui a laissé des enseignements et des images dans le quotidien des habitants de la Terre.
Dans le langage courant le fait de « vivre le supplice de Sisyphe » signifie que l’on vit une situation absurde répétitive dont on ne voit jamais la fin ou l’aboutissement.
Le mythe de Sisyphe appliqué dans le cadre du conflit entre la RDC et le Rwanda
Le Rwanda, qui avait envahi la République démocratique du Congo (alors appelée Zaïre) en 1996, poursuit depuis lors ses incursions sur le territoire congolais. Depuis deux ans, ce pays a franchi une étape significative dans cette guerre d’agression : les troupes du président Paul Kagame occupent désormais deux des vingt-six provinces congolaises, à savoir le Nord-Kivu et le Sud-Kivu.
Face à ce conflit meurtrier et prolongé, plusieurs acteurs internationaux et étatiques ont tenté de promouvoir des initiatives visant à instaurer la paix à l’Est de la RDC et dans la région des Grands Lacs. À son retour à la Maison-Blanche, le président Donald Trump a placé parmi ses priorités africaines la résolution du conflit entre le Rwanda et la RDC. Il s’est posé en médiateur et a invité les présidents Paul Kagame et Félix Tshisekedi à Washington, lançant ainsi le « processus de Washington », placé sous la garantie des États-Unis. Cette démarche a conduit à la signature d’un accord de paix entre les deux pays, le 27 juin 2025, à Washington.
Cependant, cet accord prévoyait plusieurs étapes avant l’instauration d’une paix durable, encore loin d’être effective, surtout sur le territoire congolais agressé. Les deux parties devaient régulièrement se rencontrer afin de progresser dans le processus. La dernière réunion, tenue les 17 et 18 septembre 2025, avait permis d’activer le « Concept des opérations » (Conops), applicable à partir du 1er octobre.
Ce document, à portée opérationnelle, détaille les différentes phases d’une action, souvent militaire, marquant le lancement des opérations contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) – prétexte récurrent invoqué par Kigali pour justifier ses interventions en RDC.
Les 21 et 22 octobre 2025, les délégations rwandaise et congolaise se sont de nouveau réunies à Washington dans le cadre de la troisième session du Mécanisme conjoint de coordination de la sécurité. Cette rencontre visait à évaluer la mise en œuvre des premières étapes du Conops et à examiner la campagne lancée par Kinshasa, appelant les FDLR à déposer les armes et à se rendre aux autorités congolaises ou à la MONUSCO. Les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) avaient d’ailleurs adressé un message de bonne foi à ces rebelles rwandais, les exhortant à se rendre soit aux FARDC, soit à la mission onusienne.
Cependant, selon les dernières informations relayées, aucune reddition des FDLR n’a été enregistrée, ni auprès de la MONUSCO, ni auprès de l’armée congolaise. Dès lors, selon la médiation et du point de vue de Kigali, le gouvernement congolais n’aurait pas respecté ses engagements, s’exposant ainsi à des sanctions et à une nouvelle exigence de neutralisation des FDLR dans l’Est du pays.
Cette exigence, présentée par le Rwanda comme une condition incontournable pour la paix, apparaît aujourd’hui comme un fardeau sans fin pour la RDC – celui de Sisyphe condamné à rouler sans répit son rocher vers le sommet. Reste à savoir si cette condition imposée par Kigali relève d’une punition politique inévitable ou d’une profonde injustice. C’est ce que nous examinerons dans cette étude à la lumière du mythe de Sisyphe.
Les sept rochers de Sisyphe à la congolaise
Comme Sisyphe condamné à rouler éternellement son rocher jusqu’au sommet d’une colline avant de le voir redescendre, le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) semble pris dans un cycle sans fin d’efforts voués à l’échec. Parmi les multiples épreuves imposées par la condition exigée du Rwanda – « neutraliser et éradiquer les FDLR » – nous en retiendrons sept. Mais comme dans le mythe antique, leur nombre est en réalité infini.
- Neutraliser et éradiquer les FDLR au Nord-Kivu
Le 10 octobre 2025, les Forces armées de la RDC (FARDC) ont appelé les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) à déposer les armes et à se rendre, soit auprès des FARDC, soit à la MONUSCO.
Lors de l’évaluation tenue à Washington les 20 et 21 octobre 2025, le gouvernement congolais a reconnu qu’aucune reddition n’avait eu lieu. Une réalité inévitable, puisque les zones concernées sont contrôlées non par les FARDC, mais par les troupes du M23/AFC, soutenues par le Rwanda.
La MONUSCO, présente dans ces territoires, a confirmé n’avoir reçu aucun combattant en reddition. En réaction, les forces du président Paul Kagame ont érigé des barrages pour interdire tout mouvement suspect, ciblant particulièrement les populations hutues, souvent arrêtées ou exécutées sommairement.
Ce constat offre à Kigali un prétexte pour accuser Kinshasa de trahison et de manquement à ses engagements de Washington. Dépourvue de moyens militaires dans ces zones, la RDC n’a d’autre choix que de plaider la clémence des médiateurs et de promettre de relancer ses efforts.
Ainsi, le rocher redescend, et il faut recommencer.
- Neutraliser et éradiquer les FDLR au Sud-Kivu
L’évaluation y conduit aux mêmes conclusions : absence de contrôle des FARDC et retrait de la MONUSCO. Le Rwanda en tire argument pour accuser la RDC de violation de l’accord.
Dans cette région, les tensions sont exacerbées par la situation des Banyamulenge – Tutsi d’origine rwandaise installés à Minembwe – dont certains groupes armés (Gumino, Twirwaneho, etc.) sont accusés d’être soutenus par Kigali. Lorsque les communautés locales s’opposent à eux, Kigali crie aussitôt au « génocide des Tutsi Banyamulenge », trouvant ainsi un prétexte pour intervenir militairement.
De plus, le Rwanda assimile souvent les groupes d’autodéfense congolais à des FDLR. Une telle équation rend impossible toute distinction, et condamne à nouveau Kinshasa à un combat irréalisable.
Et de deux : le rocher redescend.
- Les FDLR parmi les Wazalendo
Les Wazalendo, jeunes patriotes congolais mobilisés contre l’invasion étrangère, sont à leur tour ciblés. Kigali affirme que certains d’entre eux sont des FDLR, simplement parce qu’ils parlent kinyarwanda et s’opposent aux Tutsi.
Le gouvernement congolais pourra bien rappeler que parler kinyarwanda n’est pas un crime, la propagande rwandaise trouvera oreille auprès des médiateurs. Kinshasa sera donc contrainte de s’engager à nouveau à une tâche vaine : « éradiquer les FDLR parmi les Wazalendo ».
Et de trois : le rocher redescend.
- Les FDLR dans les FARDC
Kigali accuse régulièrement les FARDC d’être infiltrées par des FDLR. Kinshasa s’y oppose, rappelant que les critères d’admission excluent tout criminel étranger. Cependant, le Rwanda dispose d’atouts internes : des officiers tutsi intégrés sous l’ère Kabila, susceptibles de témoigner dans son sens.
Face à cette manipulation, la RDC finira par s’engager, à nouveau, à « purger » son armée – une opération impossible puisqu’il n’y a rien à éradiquer.
Et de quatre : le rocher redescend.
- Les FDLR parmi les réfugiés hutus en RDC
Près de 250 000 réfugiés hutus, selon le HCR, vivent encore en RDC. La plupart sont des femmes et des enfants nés après 1994. Mais Kigali soutient que le terme « FDLR » ne désigne pas une organisation militaire, mais une idéologie transmise. Ainsi, même un enfant né en 2025 peut être considéré comme FDLR potentiel s’il critique la dictature du FPR.
Cette logique absurde, défendue par des figures telles que James Kabarebe ou Louise Mushikiwabo, trouve souvent écho sur la scène diplomatique. Kinshasa, impuissante, cède encore.
Et de cinq : le rocher redescend.
- Les FDLR dans la communauté hutu congolaise
Les Hutu de la région de Bwisha, au Nord-Kivu, sont des Congolais reconnus, parlant une langue apparentée au kinyarwanda. Kigali, assimilant identité linguistique et appartenance idéologique, désigne leurs chefs comme « FDLR à neutraliser ».
Sous la pression internationale, la RDC est sommée d’agir, alors même que ces citoyens font partie intégrante de la nation, certains occupant des postes politiques ou militaires.
Et de six : le rocher redescend.
- Les FDLR dans les esprits
Enfin, le Rwanda élargit encore la définition : toute personne dénonçant ses crimes ou refusant sa domination devient suspecte d’idéologie FDLR. Kigali exige que Kinshasa neutralise « les FDLR dans les têtes ».
Une entreprise aussi irrationnelle qu’impossible. Comment éradiquer une pensée, surtout quand elle résulte de la défense de sa propre souveraineté ?
Et de sept : le rocher redescend.
Ainsi, la condition imposée à la RDC – « neutraliser et éradiquer les FDLR » – s’apparente à une malédiction sans fin. En s’y soumettant, le gouvernement congolais s’est condamné, comme Sisyphe, à faire rouler éternellement un rocher que la volonté du régime de Paul Kagame fera toujours retomber.
Jusqu’à quand ?
Pour conclure, nous nous demandons ceci :
Comment le gouvernement de la RDC peut-il se débarrasser du supplice du mythe de Sisyphe – cesser d’être obligé de pousser un rocher jusqu’au sommet d’une colline pour le voir retomber à chaque fois – autrement dit comment rompre avec l’exigence, énoncée sans nuances par le régime de Kagame (Rwanda), de « neutraliser et éradiquer les FDLR de RDC » ?
Quelques pistes, à notre avis :
Le gouvernement de la RDC devrait avoir la force et le courage de faire du constat de la réalité sur le terrain la condition sine qua non pour formuler la moindre exigence concernant les FDLR. Autrement dit, tant que le Nord et le Sud-Kivu ne seront pas sous son contrôle, il ne saurait demander aux FARDC de neutraliser ou d’éradiquer aucun groupe évoluant dans ces provinces, y compris les FDLR.
De même, le gouvernement devrait faire admettre la logique d’assimiler, pour le Rwanda, les FDLR à ce que représente le M23 pour la RDC. Il en découle l’exigence de mesures de réciprocité à l’égard du Rwanda concernant le M23/AFC sur le sol congolais. Le régime de Paul Kagame devrait ainsi être contraint, comme le gouvernement de la RDC, à engager un dialogue politique avec ses opposants – politiques et, surtout, armés, comme les FDLR.
Enfin, dans tous ces processus (Washington, Doha), le gouvernement de la RDC doit de plus en plus intégrer que le rapport de forces militaires sur le terrain renforce les arguments politico-diplomatiques lors des négociations – et qu’il doit donc s’en donner les moyens.
À ce jour, le point faible du gouvernement dans ces processus réside dans la faiblesse et le manque d’initiative des FARDC sur le champ de bataille dans cette guerre d’agression.
Emmanuel Neretse
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